Entretien - Julien Carbon & Laurent Courtiaud

Black mask de cuir

Affiche Les Nuits Rouges Du Bourreau De Jade

Partis tenter l'aventure HK il y a une douzaine d'années, Julien Carbon et Laurent Courtiaud ont collaboré avec les deux maîtres des lieux que sont Tsui Hark (Black Mask 2) et Johnnie To (Running Out Of Time).

Passé à la réalisation avec Les Nuits Rouges Du Bourreau De Jade, qui sort aujourd'hui en salles, le duo revient pour nous sur cette première expérience derrière l'objectif.


Comment s’est déroulée la conception du film ?
Julien Carbon : Au départ, on l'a construit autour de Carrie Ng parce que c’est une actrice qu’on connait depuis longtemps, on est très fan d’elle depuis ses débuts. D’abord on voulait faire un film dont elle serait le personnage central. A partir de ça on a eu une proposition de coproduction et l’histoire a pris une tournure différente. 

Laurent Courtiaud : Quand est venue la coproduction française et qu’on a commencé à écrire, il était question de faire un film français et d'intégrer des personnages français en choisissant la façon la plus amusante d’affronter les cultures  et les genres. 

Les Nuits Rouges Du Bourreau De Jade
 


Le fétichisme est venu après ?
LC : Non, tout de suite, parce que c’est nous. 

JC : C’était induit dès le départ, dès qu’on allait faire de Carrie le personnage central : notre fétichisme passe à travers elle parce que, pour nous, c’est un idéal de femme. C’est même pas quelque chose auquel on a besoin de penser, c’est venu naturellement. 

LC : On voulait faire  un film avec de belles femmes, et avec un contenu sexuel, sensuel, érotique fort mais adulte, pas un érotisme pour teenager comme c’est le cas dans la plupart des films d’horreur actuels ou des slashers. Souvent il n’y a pas du tout de sexualisation dans ces films, ou alors c’est très adolescent. On voulait quelque chose d’un peu plus mature mais sans scène de sexe, d’acte sexuel. Il fallait travailler sur la métaphore de l’acte pour le présenter, et tout ce qu’on peut explorer autour pour créer un contenu érotique sans avoir à montrer de rapport sexuel. Forcément, le fétichisme, l’imagerie et les accessoires SM permettent d’évoquer beaucoup de choses et de donner du signifiant ou de la charge érotique sans avoir à montrer de pénétration ou pire, de gens qui font semblant, ce qui est ridicule.  

JC : Et qui ne marche pas. 

C'est un fétichisme cinématographique ou une passion appliquée à votre cinéma ?
JC : Il vient de la vie, de notre intérêt personnel pour les jambes, les pieds de femme, les chaussures, les talons, les collants, les bas...
Après forcément quand t’es fétichiste tu t'intéresses aux films qui ont montré le fétichisme, ce qui ne correspond jamais tout à fait à la même chose pour tout le monde, chacun en a sa vision. Je pense que dans les films en général on est rarement satisfait par le fétichisme. Ce n’est pas lié à des fantasmes de cinéma mais de la vie. 

Les Nuits Rouges Du Bourreau De Jade
 


Parce que vos réferences avouées se situent en majorité dans les années 70, que j’imagine liées à vos souvenirs d’enfance...
JC : C’est forcément un peu lié à ça. 

LC : Un petit peu ouais. 

JC : C’est une période de grand bouleversement de la société. Fin 68 c’est la fin du code Hayes, en France commence le mouvement qui amène les soft porn puis la pornographie, à un moment où le cinéma se libère. Du coup même dans le cinéma d’exploitation, le cinéma populaire, le cinéma de série B on se permettait plus de chose du point de vue érotique, même quatre, cinq ans avant. De 67 à 75/76, le cinéma a peut être été le plus libre, le plus transgressif, le plus amusant. Dans la série B on savait qu’il fallait donner une certaine esthétique à tout ça, tout en étant assez osé dans la représentation du sexe dans les films

La couleur rouge est présente dans la quasi-totalité de vos plans. Est-ce uniquement une esthétique pop ou est-elle articulée à votre discours cinématographique ?
LC : On a voulu définir le personnage de Carrie d’une façon très primaire, très simple comme beaucoup de personnages types de la série B qu’on aime, japonais ou italien avec l’homme sans nom défini par son poncho et son cigarillo. Souvent juste des accessoires très simples et très marquants donc on a pensé à l’imper rouge pour Carrie, et joué sur des teintes de couleur très nombreuses et marquantes comme le rouge et le noir. Les Louboutins de Carrie matérialisent tout à fait ça. A partir du moment où le rouge est associé à Carrie, on le déclinait naturellement. 

Parce que dans l’histoire, une question se pose par rapport au lien qui unit Carrie au personnage de Sandrine. Le vêtement bordeaux qu’elle porte à la fin est-elle une réponse narrative à cette question ?
JC : Non c’est à dire qu’il y avait l’idée du domaine de Carrie qui contamine le personnage. La couleur se referme sur elle. 

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Quelles ont-été les applications de vos méthodes apprisent à la Film Workshop sur ce film ? Quelques décadrages très HK ?
LC : Non, pas de cadrage typiquement HK. Au niveau pratique c’est un mélange de ce qu’on a appris avec Tsui et surtout avec Wong Kar Wai, sur l’utilisation d’une petite équipe. Tsui est en général sur des gros films, Wong avec une petite équipe très très soudée. Pour nous c’est d’abord ce qu’on pouvait se payer et puis ce qu’on voulait faire aussi, essayer de construire avec des gens peu nombreux mais extrêmement motivés, entièrement dévoués à la cause. On a beaucoup appris de WKW, le fait de faire des repérages à l’avance et d’écrire suivant les lieux. Quand il faisait des films comme Nos Années Sauvages par exemple, ça devait se passer dans un Hong Kong fantasmé des années 60, qui n’existe plus aujourd’hui parce que tout est sans cesse reconstruit, donc il a parcouru la ville en repérant une porte,une entrée d’immeuble, un réverbère, un escalier de l'époque et construisait une scène juste comme ça, par le cadre.
Quand tu repères, tu penses déjà à ton cadre et aussi à l’atmosphère de l’endroit, ce que tu peux tirer de la scène, ce qui fait que les lieux se connectent entre eux et donnent une continuité dramatique. C’est ce qu’on a fait sur le film : on a tout repéré avant et l’histoire se construit en fonction de ces lieux.  
Sinon, la méthode HK c’est d’aller à fond la caisse et de pouvoir réagir très vite quand les choses ne sont pas exactement ce qu’elles sont pour une raison ou pour une autre.

JC : Concernant la méthode de travail par rapport à la Film Workshop, on a surtout pu apprendre des choses liées à l‘écriture plus qu’à la réalisation proprement dite, parce que les films de Tsui sont des gros films, donc les problèmes ne sont plus les mêmes, ce sont des problèmes de riche.
Chez Tsui on a appris avec sa méthode : quand t’as une idée il faut la sortir, tout de suite, de ton système, la mettre immédiatement sur le papier, quelque soit sa qualité. On n’attend pas d’avoir atteint une forme de perfection dans sa tête avant de la mettre sur le papier mais tout de suite de la mettre à plat de façon à faire beaucoup de versions de cette histoire, d’explorer beaucoup de directions à l'intérieur de l’histoire. Finalement ce qu’il fait c’est explorer toutes les directions puis il en retient une, mais de toute façon il finit par s’asseoir sur le script quand même, parce qu’il se rappelle des autres choix. Si quand il tourne il se dit “Ah, en fait cet élément est intéressant”, cet élément a déjà été traité à fond donc c’est plus facile pour lui d’aller le reprendre. Ça a l’air d’être assez chaotique et pas toujours logique mais ça marche assez bien chez lui. 

LC : Ça marche quand c’est Tsui et qu’il a le pouvoir de refaire et de modifier. WKW c’est le même principe sauf qu’il le fait en tournant, c’est pour ça qu’il tourne pendant 18 mois. 

JC : Il tourne tout quoi. 

LC : Ça on pouvait pas non plus se le permettre, donc on a fait un compromis entre les deux : l’écriture de Tsui et le tournage de WKW. 

Les Nuits Rouges Du Bourreau De Jade
 


Ce film montre HK de manière très esthétique, votre prochain film d’action sera une poursuite dans Hong Kong. Vous avez travaillé avec Johnnie To qui a souvent magnifié HK (
Breaking News), de même pour Lam, Hark et To (Triangle). Comment rivaliser avec ces maitres ?
JC : Justement, peut-être qu’on aura une vision d’étranger sur la ville même si ce n’est pas une vision de touriste. On ne voit pas du tout les choses tout à fait de la même manière donc on ne traitera pas forcément des mêmes endroits.
To s’en fout un peu des endroits dans HK, il tourne autour de ses bureaux. Ce sont des endroits très spectaculaires mais il n’a pas un fétichisme de HK comme WKW qui va chercher des lieux très particuliers. Il capture très bien HK comme ça aussi. Ce n’est pas forcément la spécialité de Tsui, même dans ses films plus urbains. C’est surtout WKW qui a su montrer HK très différemment.
Mais c’est une question de lieux, de repérages et d'éviter les angles qu’on a toujours vus ; il y en a peu parce que les autorisations de tournage sont limitées. On verra. 

LC : Mais ce n’est pas un polar noir, ce n’est pas un film de gangster, c’est une aventure romantique. On suit un couple, ce qui n’est pas vraiment typique de Johnnie To, qui préfère les histoires d’hommes, et s’il y a des femmes dedans, elles sont assez viriles ou masculines. Là on est sur un ton beaucoup plus léger, ça va nous éviter d’affronter directement les maîtres sur leur terrain. On ne va pas faire de hero movie, de film de gangsters. 

JC : Le film qui explore très bien le HK de ces dernières années est Full Alert de Ringo Lam, mais depuis, on ne peut pas dire qu’il y ait eu beaucoup de polars spectaculaires qui montraient HK. On peut trouver des beaux endroits, qui n’ont pas été filmés, il y en a encore quelques uns.


Remerciements à Philippe Lux, Marc Troonen et FX Taboni.




   

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