PIFFF 2015

We live

Affiche PIFFF 2015

Pour sa cinquième année, le Paris International Fantastic Film Festival a quitté les écrans du Gaumont Opéra pour emménager au Grand Rex. Un pas en avant franchi dans un douloureux contexte.


Les événements du 13 novembre ont eu raison de nombreux spectacles dans la capitale, mais il fut décidé le lundi 16 que la terreur colportée ne devait pas prendre le pas sur le plaisir des écrans fantastico-horrifiques, le PIFFF ne pouvait manquer ce nouveau rendez-vous avec son public. La manifestation a vogué dans ces eaux troubles, forte d’une sécurité renforcée et des plaies encore vives du 17 au 22 novembre derniers. D’aucun dirait que se ruer vers une manifestation donnant une grande place au cinéma d'horreur n’est pas nécessaire actuellement. Pourtant ce genre bien défendu dans les colonnes de L’ouvreuse porte en lui des fonctions civilisatrices, à mille lieux des pulsions de mort et de destruction qu’on lui prête trop souvent : l’horreur permet de projeter ses angoisses et de libérer sa violence sans la tourner directement vers autrui. Le fantastique a quant à lui toujours eu la nécessaire fonction d’amplifier le réel pour mieux interroger notre monde. Et cette édition du PIFFF a posé sur le monde de 2015 un regard d’une grande lucidité.

Green Room
Un état des lieux se dégage des films projetés cette année, dans la lignée des succès de The Walking Dead ou de Mad Max: Fury Road : la survie en milieu hostile. A l’instar du génial Green Room dont on avait parlé en juin dernier et qui clôt cette édition du PIFFF, le survival et ses succédanés sont très prégnants. Dans ce genre où, souvent, perdre son humanité ou son discernement revient à faire partie des morts, les lignes se déplacent peu à peu vers des figures plus réalistes. Nous avons ainsi pu regoûter à des perles comme Incidents De Parcours de George Romero ou The Thing de John Carpenter au milieu de bandes plus récentes et plus confidentielles. Au sein d’une production fantastico-horrifique qui peine à trouver sa voie vers le grand écran (si elle n'est point estampillée Blumhouse Pictures ou Marvel), le PIFFF a clairement fait le choix de bouder les têtes d’affiche pour donner une visibilité aux nouveaux challengers. A raison. Prenons nos kits de survie pour entrer sans plus tarder dans les dédales de cette programmation 2015 !


AVENTURIERS DU SLASHER PERDU
La jeune Max a perdu sa mère dans un tragique accident de voiture. Une mère actrice qui ne passera à la postérité que pour son rôle de victime d'un slasher 80’s type Vendredi 13 / Massacre Au Camp D’Eté. Trois années passent, la jeune fille est invitée à la projection du fameux film en compagnie d’une poignée de potes du lycée. Elle ne se réjouit guère d’avoir à intervenir à l’issue de la séance. Lorsque la salle prend feu, Max et ses amis déchirent l’écran pour fuir et se retrouvent projetés dans un univers coloré qui n’est autre que celui du slasher projeté. Dans cet univers kitch et décalé, ils devront survivre avec les règles du slasher old school tandis que Max devra affronter l’image de sa mère, qu’elle ne peut décemment plus laisser mourir, même dans cet univers fictif.

Scream Girl
Le slasher movie n’en finit pas de se réinventer depuis qu’il a été donné pour mort dans les années 90. La vague néo-slasher initiée par feu Wes Craven à travers Scream donna de nombreux succédanées très portés sur le méta, aussitôt tournés en dérision par le premier Scary Movie. S’il emprunte un chemin tout aussi méta, le Scream Girl projeté en ouverture du festival se coupe de cet héritage en se séparant très vite de l’érudit cinéphile du groupe. Le film de Todd Strauss-Schulson emprunte à Last Action Hero de John McTiernan en projetant son casting dans un univers de cinéma et rappelle La Cabane Dans Les Bois de Joss Whedon/Drew Goddard dans sa manière de détourner formellement le genre au lieu de le commenter. L'auteur prend un malin plaisir à confronter les archétypes des années 80 avec la jeunesse actuelle, pointant la déconstruction des stéréotypes (les parents du héros masculin sont gays, la méchante de l’histoire n’en est pas vraiment une...), cette confrontation inter-générationnelle engendrant les moments plus drôles. Mais Scream Girl parvient surtout à être émouvant à travers les retrouvailles inespérées d’une fille et de sa mère disparue, tournant le long-métrage autant vers l’hommage à l’ancienne scream queen que vers un deuil cathartique. Disponible en VOD le lendemain de sa projection, ce petit bijou n’aura malheureusement pas les honneurs d'une sortie salles.

The Final Girls de Todd Strauss Schulson, sortie VOD : 23 novembre 2015

http://www.youtube.com/watch?v=zreNh78kTjg


FRENCH HORROR STORIES
Le PIFFF met en avant avec sa compétition deux films fantastiques français, Don’t Grow Up de Thierry Poiraud et Evolution de Lucile Hadzihalilovic, très différents sur la forme mais qui partagent bien des points : plusieurs années de pré-production qui menèrent à des financements en partie étrangers, un tournage en Espagne, une thématique lorgnant sur le passage à l’âge adulte et des auteurs tenaces. Le réalisateur et la réalisatrice ont de la bouteille mais ont connu une traversée du désert dans les années 2000, le premier suite à l’échec d’Atomic Circus, Le Retour De James Bataille réalisé avec son frère, la seconde par ses projets en marge des codes narratifs habituels peinant à trouver financeurs. 

Revenu sur le devant de la scène avec un segment du diptyque Goal Of The Dead, Thierry Poiraud quitte son frangin pour se lancer seul dans l’aventure Don’t Grow Up, projet qu’il mûrit depuis quelques années. Variation sur le film d’infectés, la bobine conte l’aventure d’une bande de jeunes désœuvrés dans un centre de redressement. Laissés seuls face à eux-mêmes par leurs éducateurs, ils décident de profiter de l’aubaine mais ne tarderont pas à découvrir que l’absence des aînés s’explique par une épidémie d’un nouveau genre qui transforme les adultes en meurtriers fou furieux. Mais pour des gamins confrontés à l’horreur depuis leur plus jeune âge, il n’est pas nécessaire d’avoir dix-huit ans pour avoir perdu ses illusions. S’amorce alors une course pour la survie, contre le monde, mais aussi contre eux-mêmes.

Don't Grow Up
Bien qu’il soit tourné en langue anglaise pour des raisons scénaristiques, le film de Thierry Poiraud est une véritable bouffée d’air frais pour le fantastique français et bénéficie du savoir-faire d’un réalisateur maîtrise la chose. La solitude des héros est magistralement rendue par la désolation et les inserts des paysages et des acteurs tous très convaincants. De plus le scénario passe le cap d’une des plus grandes difficultés du genre made in France : les dialogues. Exit les farces sympathiques, Thierry Poiraud traite son sujet au premier degré du début à la fin, joue de ambiguïté créée par l’absence de détermination claire de la menace et évite toute lourde tirade sur les difficultés du passage à l’âge adulte, tout le propos passant par les situations et choix des personnages. A travers des flash-backs qui empruntent au film social, Don’t Grow Up se fait le porte-parole d’une génération plongée dans le réel au point de devoir dire très vite adieu à ses rêves et espoirs, seule véritable barrière à l'irrémédiable confrontation avec la violence des adultes.

Don’t Grow Up de Thierry Poiraud, sortie en salles : inconnue


Evolution de Lucile Hadzihalilovic opte pour une vision plus intimiste et moins sociétale de l’adolescence à travers l’expérience d’un enfant de 13 ans. Plus de dix années ont passé depuis le très beau Innocence, c’est le temps qu’il aura fallu pour que Lucile Hadzihalilovic, consoeur de longue date de Gaspard Noé, refasse parler d’elle. Evolution partage avec Innocence son minimalisme (peu de dialogues, beaucoup de silences) et la micro-société retirée. Ici de jeunes garçons pré-pubères évoluent dans un décor idyllique, une sorte d’hôpital cloître tenu par des femmes qui semblent être leurs mères. L’un d’entre eux finit par s’interroger sur les examens et traitements médicaux dont ils font l’objet et sur la disparition de ses amis. Il découvre que les mères ne sont pas vraiment humaines, et que les expérimentations qu’elles entreprennent ont pour but d’enfanter une progéniture hybride.

Evolution
D’une idée provenant de souvenirs d’enfance traumatisants (une opération de l’appendicite), L'auteur de La Bouche De Jean-Pierre parvient à transmettre la peur chirurgicale et la portée malsaine d’expérimentations qui virent lors des rares instants ouvertement fantastiques vers l’horreur "cronenbergienne". Se gardant de justifier les ellipses du scénario, la cinéaste pêche néanmoins par excès inverse, ce qui rend parfois le contexte inintelligible. On peut toutefois se raccrocher à la beauté plastique des plans et des magnifiques décors, et aux divers ressentis que la mise en scène parvient à transmettre, chose rare au sein du cinéma français. Sans oublier l’interprétation envoûtante de Roxane Duran. Mais reste une impression de langueur obstinée qui peut tronquer le plaisir de la découverte.

Evolution de Lucille Hadzhalilovic, sortie salles : 16 mars 2016

http://www.youtube.com/watch?v=PkKZ2qx5f6g



RIDLEY SCOTCHE
Artiste polyvalent (poète, écrivain, metteur en scène…), l’Anglais Philip Ridley est un réalisateur rare mais précieux. Trois longs-métrages en l’espace de 25 ans : le récent film horrifique Heartless (2010), Darkly Noon (1995) et L’Enfant Miroir (1990), son premier long projeté à cette édition du PIFFF dans le cadre de la Séance Culte. Une étiquette culte que L’Enfant Miroir porte très bien puisqu’il a été tiré de l’oubli par une poignée d’aficionados qui ont pu non seulement permettre au film d’être restauré mais aussi de se voir ajouter des scènes inédites. Les festivaliers ont donc pu voir dans les meilleures conditions un film qui s’épanouit clairement dans une salle de cinéma, de par la beauté des tableaux qu’il expose et le lyrisme qu’il exprime. Ridley conte une période trouble de l’enfance de son protagoniste Seth dans l’Idaho des années 50, dépeignant les jeux cruels auxquels il s’adonne avec ses amis pour tuer l’ennui, son quotidien avec ses parents et l’étrange peur qu’il ressent au contact d’une voisine qui pourrait bien être un vampire. Pendant ce temps, une bande de jeunes dans une voiture rôdent et s’apprêtent à changer le paysage de Seth de manière irrémédiable.

L'Enfant Miroir
S’il se réclame de La Nuit Du Chasseur de Charles Laughton et de La Ballade Sauvage de Terrence Malick dans sa facture visuelle et le ton déployé, L’Enfant Miroir ne ressemble à aucun autre film. 
Philip Ridley décrit une partie décisive de l’enfance de son héros via un souvenir teinté d’onirisme, mélange de pureté et de cruauté, et pour cela, on pourrait tenir la bande définitive sur les réminiscences enfantines. Certains instants, accentués, comme gravés dans le temps, sont rendus plus grotesques par la vision déformante de l’enfant aux sentiments exacerbés, transparaissant par une sur-dramatisation et un intense score mélodique de Nick Bicât. Il se dégage paradoxalement de ce portrait d’une communauté rurale baignée dans le silence et la haine une certaine nostalgie, qui tient beaucoup de ces champs de blés à perte de vue et du fantastique qui baigne le métrage sans jamais vraiment s’installer. Du romantisme du couple formé par Lindsay Duncan et Viggo Mortensen à la solitude d’un père condamné au silence en passant par l’interprétation d’enfants du chaos ambiant, L’Enfant Miroir se pose en patchwork débordant d’empathie.
Le  film de Ridley est fort heureusement édité en DVD dans une belle édition par Blaq Out dans le cadre du lancement de sa collection Blaq Market. On ne peut que vous conseiller de vous laisser tenter.

Reflecting Skin de Philip Ridley, sortie DVD : 17 novembre 2015

http://www.youtube.com/watch?v=ObkXViiiFwA


FUN, SEX & METAL
Le fantastique social n’a heureusement pas éclipsé la farce et le Grand-Guignol. La bande la plus turbulente de ce PIFFF 2015, sous l’égide de la Séance Interdite, nous amène en Nouvelle-Zélande, terre propice aux excès gore inspirés qui donna jadis naissance à Peter Jackson et a fourni un des films les plus réussis de cette année avec What We Do In The Shadows. Le Deathgasm de Jason Lei Howden ne fera pas mieux mais a le mérite de vendre son âme aux excès et à la déconne sans se soucier des fioritures : un jeune homme part vivre chez son oncle après l’internement de sa mère. Exorcisant son mal-être dans le Metal de tous (longs) poils, du heavy au death en passant par le symphonique, il rencontre son pendant, version confiant, et décide de fonder un groupe. Lors d'une de leurs virées, les deux rockeurs récupèrent une partition, quelques notes qui ont le pouvoir de semer la terreur et de faciliter l’avènement d’un impitoyable démon.

Deathgasm
Sorte de teen movie pour métaleux et outcasts du lycée, Deathgasm mélange avec habileté les codes et l’imagerie du Metal à une horreur très organique qui ne laisse pas du tout présager de l’affiliation du réalisateur à la cellule digitale des studios WETA. Les possessions des habitants du traditionnel bled paumé rappellent les démons d’Evil Dead, et reçoivent joyeusement la même punition. L’irrévérence et la frénésie règnent sans que ne soit sacrifiée l'esprit fraternel au sein de la bande. Si on peut regretter que la dernière partie soit trop expéditive voire classique, il ne se dégage pas moins de ce Deathgasm une réelle identité.

Deathgasm de Jason Lei Howden, sortie salles : inconnue




Le héros loser de The Virgin Psychics ne se fend pas d’accords de guitare mais de longues soirées de plaisirs solitaires à penser à toutes les femmes qui l’entourent. On le ferait à moins si notre ville était à moitié composée des créatures qui évoluent dans ce nouveau long-métrage de Sono Sion. Le réalisateur japonais traverse une tendance Takashi Miike, tournant à tour de bras dans des genres très différents. 2015 lui aura donné l’occasion d’enchaîner Love & Peace, Tag, Shinjuku Swan, The Whispering Star et ce libidineux Virgin Psychics. Dans une petite ville du Japon, plusieurs puceaux héritent de pouvoirs surnaturels : télékinésie, télépathie et autres dons plus complexes. Parmi eux, un lycéen bien décidé à trouver celle qui lui était destinée avant même sa naissance. Les niais rencontrent deux agents chargés de les former et ne tardent pas à les transformer en héros. Or, pas de héros sans vilains. Et la super vilaine lesbienne en chef transforme bientôt le village en un bordel géant, déchaînant une frénésie sexuelle incontrôlée qui pourrait bien détruire le monde.

The Virgin Psychics
La première partie de Love Exposure avait montré un Sono Sion à l’aise dans le grivois débridé. Ce n’était qu’un amuse-bouche : avec le nouveau maître du cinéma nippon barré à la barre, c’est sans grand étonnement que The Virgin Psychics enchaîne les gags over the top, des situations absurdes dans un univers particulièrement bien dessiné et une galerie de personnages typés à l’extrême mais sympathiques. Le rythme un peu lâche laisse néanmoins deviner un certain laisser-aller, en particulier lors d'un final à tiroir qui réserve bien peu de surprises. Le contrat de la comédie fantastique sexy made in Japan est toutefois parfaitement rempli, du début à la fin.

The Virgin Psychics de Sono Sion, sortie en salles : inconnue




GHOST WORLD
Une fois n’est pas coutume, la perle des nouveautés de ce PIFFF 2015 est un film à sketch. Issue de l’alliance de quatre réalisateurs de la nouvelle vague horrifique indie, Southbound présente plusieurs histoires liées entre elle par une mystérieuse ville fantôme du sud des Etats-Unis. Différents personnages y feront un passage, souvent leur dernier. Southbound se présent comme un mixe habile entre La Quatrième Dimension, Pulp Fiction, les EC Comics (dont sont issus Les Contes De La Crypte) et les anthologies horrifiques des 80’s/90’s. Le premier segment raconte la poursuite de deux malfrats par une entité fantastique, le deuxième suit trois amies entraînées dans la demeure de locaux qui pratiquent un culte malsain, la troisième voit un pauvre homme se débattre avec la femme qu’il a accidentée sur cette même route, et dans le quatrième un vieil homme tente de sauver sa sœur, prisonnière depuis des années de la ville maudite.

Southbound
Southbound est fluide, viscéral, sonne comme une plongée infernale dans le mystère de cette étrange ville où tout le monde est omniscient, où flotte une sorte de conspiration surnaturelle dont on ne saura pas plus, et c'est tant mieux. Tout cela est exacerbé lors du sketch de l’accident par David Bruckner, le meilleur des quatre, qui retourne le cœur et transpire le suspens. Les liens entre les sketchs restent habiles, les histoires, a priori peu surprenantes, parviennent à happer le spectateur pour ne plus le lâcher. Une bien belle réussite qui ne bénéficie pour l’instant d’aucune distribution et qui aurait clairement mérité sa place au sein de la compétition.

Southbound de Roxanne Benjamin, David Bruckner, Patrick Horvath & Radio Silence, sortie salles : inconnue



PALMARÈS

ŒIL D'OR – PRIX DU PUBLIC : Don’t Grow Up de Thierry Poiraud

ŒIL D'OR – PRIX DU COURT-MÉTRAGE FRANCAIS : Of Men And Mice de Gonzague Legout

ŒIL D'Or – PRIX DU COURT-MÉTRAGE INTERNATIONAL : L’Ours Noir de Xavier Séron & Méryl Fortunat-Rossi

PRIX DU JURY COURT-MÉTRAGE : Phantasms Of The Living de Jean-Sébastien Bernard

MENTION SPÉCIALE : L’Appel d'Alban Ravassard

PRIX SPÉCIAL CINÉ+ FRISSON LONG-MÉTRAGE : Evolution de Lucile Hadzihalilovic 

PRIX SPÉCIAL CINÉ+ FRISSON COURT-MÉTRAGE : Juliet de Marc-Henri Boulier




   

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