Marvel Studios (vie héroïque ?)

Hero corp.

Affiche Marvel Studios

Un planning bouclé jusqu’en 2028, des recettes qui se montent au minimum à 500 millions de dollars par film et le soutien indéfectible d’un public hétéroclite qui s’étend de l’historien du comic book au néophyte rompu au blockbuster estival... 


c’est peu dire que le moteur de Marvel tourne rond. Peut-être même au-delà des espérances qu’Avi Arad et Kevin Feige pouvaient nourrir lorsqu’ils se lancèrent à l’assaut de la forteresse hollywoodienne en créant une succursale cinéma à la vénérable maison au milieu des années 2000, alors même que l’âge d’or du film de super-héros s’apprête à toucher à sa fin et à tomber dans la normalisation industrielle après qu’une poignée d’auteurs opiniâtres (Raimi, Del Toro, Singer, Shyamalan…) n’aient posé les jalons du traitement dramaturgique et visuel d’un genre longtemps réduit à sa dimension infantile par ses propres instigateurs. Une reprise en main par les exécutifs qui s’est cristallisée à plus d’un titre dans le triomphe de Marvel Studios : dix ans et une poignée de cartons atomiques plus tard, la firme, qui dispose désormais de la puissance de feu de Disney depuis son rachat par la firme aux grandes oreilles il y a quelques années, peut tout se permettre, y compris se payer le succès de l’été avec Les Gardiens De La Galaxie dans le genre pour le moins difficile du space opera, qui ne compte plus ses gibiers de potence commerciaux passés et futurs (dernières victimes en date : Jupiter Ascending des Wachowski, dont le report à février 2015 fut attribué par des bruits de couloirs aigus à l’anticipation d’un bide massif en cas de sortie cet été par la Warner).

Marvel Studios

A l’heure où n’importe quel blockbuster américain se voit de plus en plus contraint de miser sur les recettes étrangères pour rentrer dans ses frais, la constance tranquille avec laquelle Marvel parvient à fédérer le public en salles témoigne de ce que la firme a réussi à devenir : une marque de fabrique qui a fidélisé sa clientèle autour de la récurrence des ingrédients et recettes à chacune de ses sorties, et ce quelle que soit au fond la différence des univers abordés.

De Iron Man à L’Incroyable Hulk, en passant par Thor et Captain America, le défi qui s’est présenté aux instigateurs de la Marvel lorsque celle-ci s’est décidée à exploiter au cinéma les licences pas encore tombées sous le giron des studios consistait en ceci : réussir à créer un effet de synergie entre les différentes franchises de manière à assurer la pérennité du studio afin que celui-ci ne devienne pas dépendant du succès d’un personnage pour éponger les pertes encaissées par les autres. D’où le choix d’envoyer au front Iron Man en éclaireur, probablement le personnage le plus populaire du roaster, histoire de préparer le terrain pour L’Incroyable Hulk (le plus difficile à traiter de l’aveu général) à travers une scène post-générique susceptible de faire la transition entre les deux. Mais ce qui ne devait au départ constituer qu’un clin d’œil destiné à assurer une continuité pour le public entre deux œuvres indépendantes généra suffisamment de buzz et de fantasmes pour mettre les pontes de Marvel devant l’évidence : la meilleure façon de lier les destins des franchises entre elles vers un avenir radieux résidait dans leur interdépendance avec un univers étendu et la fidélisation du public autour d’un fil narratif commun, aussi ténu soit-il.

http://www.youtube.com/watch?v=tyqR3RV2kYc

Ainsi, le coup de génie de Marvel a été d’oser jouer la carte de l’avant-garde sur les mutations traversées par l’industrie hollywoodienne ces dernières années, où l’omniprésence de la franchise (soit les séquelles / reboots à foison qui squattent vos écrans depuis une petite décennie) traduit la volonté actuelle des studios de se doter d’un plan marketing préétabli bien en amont de la conception du film. Or, quoi de mieux dans une telle conjoncture que de transposer la logique de comics dans la production cinématographique en créant une constellation de franchises gravitant autour d’un noyau commun, à savoir l’hydre The Avengers ? Aussi massive et complexe que représente la logistique réclamée par une telle aventure (du comic book au cinéma, il n’y a pas un pas mais un gouffre creusé par la lourdeur industrielle inhérente au second), le pari vaut la peine d’être tenu au regard de l’engouement d’alors (et pas démenti depuis) pour un genre déjà parvenu à maturité lors de la sortie du premier Iron Man, disposant de précédents plus que solides (les Spider-Man de Sam Raimi notamment) sur lesquels s’appuyer, que ce soit en termes dramaturgiques ou visuels.

The Avengers

Paradoxalement, le film de Jon Favreau aura fait le malheur de la Marvel (d’un point de vue artistique s’entend) si l’on considère que son carton au box-office l’érigea en exemple à suivre pour la suite du programme, dont la nature ne manquait pourtant pas de jeter des pavés bien épais dans la mare de la conception classique du blockbuster en terres hollywoodiennes. Loin de la franchise traditionnelle, il s’agissait de se demander comment entériner à l’écran la porosité entre des univers antagonistes, leur conférer un ADN commun sans attaquer leur identités individuelles et tracer des trajectoires narratives spécifiques à l’aune d’une grande odyssée collective. Pour Kevin Feige, ancien assistant de Lauren Shuler Donner qui hérite du rôle de l’homme-orchestre chargé de conduire le projet à bon port en naviguant sur des terres inconnues, il s’agit ainsi non seulement de trouver le moyen de coordonner plusieurs projets à la fois en conservant la cohésion de l’ensemble, mais aussi d’anticiper les arcs narratifs des uns pour les faire rejaillir chez les autres, d’harmoniser les partis-pris visuels… Bref, une responsabilité de showrunner (au sens télévisuel du terme) tant ses prérogatives dépassent celles du simple producteur, la nature atypique du projet remettant logiquement en cause la distribution des rôles telle qu’Hollywood la pratique depuis les années 80.

Autant de responsabilités que Feige balaye d’un revers de la main, substituant à la sensibilité artistique réclamée par une telle fonction la sécurisation à minima de l’investissement placé par Marvel, en puisant dans un film dont l’essentiel de son salut provient du one man show débridé et nonchalant de son interprète principal (certes assez efficace pour réussir à occulter occasionnellement l’absence de dramaturgie pour cause de tournage lancé littéralement à l’aveuglette, mais un poil limité pour ce qui est de résoudre le jeu de poupées russes narratives susmentionnées), le modèle à suivre pour paver la route du succès et ouvrir la voie aux Avengers. Dès lors, tous les efforts ultérieurs de Marvel devront être rabotés vers le plus petit dénominateur commun pour emporter la connivence du panel de spectateurs le plus large possible : humour beauf pour démystifier à peu de frais, cadre narratif ankylosé par la dépendance à la méga-franchise, iconoclasme faussement audacieux des figures de style comme véhicule d’une distanciation "cool" par rapport à l’action…

Iron Man 2

Des scories érigées en doxa plus ou moins insidieuses (les réalisateurs confessant souvent après coup et à demi-mot la frustration engendrée par leurs expériences) que la firme a l’intelligence de maquiller derrière une fausse politique des auteurs s’incarnant dans le choix de cinéastes dont l’atypisme revendiqué devient la caution de l’intégrité artistique du projet. Comme si finalement Marvel recrutait consciemment des auteurs autoproclamés peinant à faire exister leur identité au-delà de leur partis-pris les plus ostentatoires (esthétique rococo et cadrages de traviole chez Kenneth Branagh, décalage pop et légèrement borderline chez James Gunn…), jamais répercutés au sein de choix de mise en scène "moins visibles" mais plus à même de relayer une véritable appropriation du sujet au-delà des marques déposées des cinéastes respectifs (même Shane Black a partiellement échoué à composer sa propre musique sur Iron Man 3, même si l’effort de transcender le projet en sollicitant sa filiation "sérialesque" était bien présente). Dans une telle conjoncture, il est peu surprenant que dans cette promotion du réalisateur-auteur , au sens le plus superficiel et ampoulé, les artisans plus soucieux de raconter une histoire que de valoriser leurs personnalités artistiques soient à l’origine des seules authentiques réussites du studio (Captain America 1 et 2, réalisés respectivement par Joe Johnston et Anthony & Joe Russo), ni qu’Edgar Wright, après huit années consacrées à Ant-Man, soulève un véritable tremblement de terre sur tout ce qu’Internet peut compter de forums estampillés geek en désertant brusquement le navire à quelques semaines des prises de vues…

The Avengers

Il ne faut alors guère s’étonner que le film-vedette de l’écurie, le vaisseau-mère de l’univers Marvel au cinéma ne fasse même pas semblant de maquiller sa politique du plus petit dénominateur commun. Car The Avengers fait davantage que reconduire la formule Marvel : il le mène à sa "quintessence" visuelle et narrative, érige en axiome esthétique le principe de neutralité sous-jacente à la conception des films qui ont introduit son univers et substitue définitivement la fédération autour de la connivence facile à l’universalisme articulant l’inconscient collectif. Comme s’il s’agissait de revendiquer une bonne fois pour toute la politique résolument télévisuelle menée jusqu’alors, qui transpire par tous les pores de son format 4/3, de la pauvreté de sa direction artistique (et ces décors techno-futuriste qui renvoient au QG de NCIS), sa conception étriquée de l’espace ou sa lumière inexpressive. The Avengers n’est pas tant l’œuvre de l’univers Marvel que le pur produit des choix qui ont été opérés par la firme à la transposition de son univers sur grand écran, investissant la dimension feuilletonesque du projet dans sa définition télévisuelle la plus archaïque plutôt que de repenser la notion à l’aune de sa migration vers les écrans de cinéma. D’une certaine façon, le long-métrage de Joss Whedon a inventé un concept inédit : le film d’auteur délocalisé vers le système, sorte d’équivalent sur grand-écran des articles de presse écrit par des logiciels.

Marvel Studios
"Je sais que Marvel ne laisserait jamais faire, mais ce que j’aimerais, c’est m’asseoir avec tous ces réalisateurs, Joe Johnston, Kenneth Branagh et Jon Favreau et faire comme un tryptique. On fait quatre films, et on en sort un par mois durant l’été, où même un tous les deux ou trois semaines. Et l’été entier serait l’été des Avengers. Ainsi, nous le ferions de la façon dont on conçoit les séries TV. Un arc narratif mais racontés avec un épisode par réalisateur. Ainsi, tous les réalisateurs ayant œuvré sur une partie du monde des Avengers s’acquitteraient d’une partie, nous pourrions faire les films plus courts, peut-être moins d’une heure et demie, et utiliser les même décors afin d’économiser l’argent de Marvel".
Création d’une narration hybride entre cinéma et télévision, et déplacement de la politique des auteurs vers un organe collégial : on peut chipoter sur le casting, reste que la proposition de Louis Leterrier démontre à quel point l’aventure de The Avengers a ouvert une brèche dans la manière de faire des films à Hollywood, et a manqué de faire basculer l’usine à rêves dans l’ère qui lui tend les bras depuis de nombreuses années, celle de la franchise toute-puissante. Ere à laquelle la Mecque du cinéma devrait de toutes façons finir par succomber à en juger par les calendriers de sorties des années à venir, et notamment l’offensive Star Wars préparée par Disney (la pomme ne tombe jamais loin du pommier) en marge du film de J.J. Abrams, qui, avec ses annonces de suites et spin-off tombant à un rythme quasi mensuel, a tout d’un blitzkrieg destiné à aplatir le système après passage. Quant à savoir si la créativité sera au rendez-vous en même temps qu’une nécessaire et inéluctable introspection du système, on espère que l’avenir fera mentir cette célèbre phrase de l’un des plus éminents paroliers de la chanson française : "les aigles ne volent pas avec les pigeons".




   

Commentaires   

0 #1 tangoche 12-09-2014 16:08
Une belle entrée en la matière pour comprendre la galaxie Marvel :)

Merci à l'auteur.

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