True Blood

Romero et Juliette

True Blood

Le mythe du vampire en ayant pris un sacré coup après l’épique Twilight de Stephenie Mormonne Meyer, il est peut être bon de s’intéresser à la seule tentative réussie à ce jour de moderniser la figure du vampire sans le transformer en éphèbe griffé vaguement nietzschéen.


True Blood
n’est pas une série exempte de défauts (l’interprétation de certains personnages importants verse parfois dans le maniérisme) mais elle a le mérite de faire fonctionner à fond son excellent pitch (spoiler alert !) : dans True Blood (la série se passe de nos jours), les vampires sont des êtres réels, nombreux, presque normaux, anciens humains qui depuis l’invention d’un sang synthétique (le TruBlood) convenant à leur alimentation ont décidé de faire leur coming out dans la société humaine et de réclamer leurs droits élémentaires, n’étant plus obligés de chasser l’humain pour survivre (même si la majorité d’entre eux le regrette et qu’une minorité continue à chasser). Ils ne sont donc qu’une catégorie de marginaux en plus dans une Amérique conservatrice (la série se déroule entièrement dans une petite ville glauque de Louisiane peu après Katrina, marquée par l’enlisement en Irak) et apeurée par ces "fangs" (comprenez "crocs"). Nos vampires demandent le mariage interespèces, le droit à la sécurité sociale et à l’emploi, faisant écho à la xénophobie et à l’homophobie qui perdurent dans la société humaine. D’autre part, les humains se rendent vite compte que boire du sang de vampire (du "V") leur fait plus d’effet que n’importe quelle autre drogue, augmentant leurs capacités sexuelles, leur force, les rendant hypersensibles et euphoriques. Se met donc en place un trafic (le mot drainage serait plus approprié) de V chez les humains parallèlement à la commercialisation de sang synthétique, retournement de situation original qui donne à la série une complexité bienvenue à l’heure des conflits éternels entre Bien et Mal, Sith et Jedi, Juifs et Nazis, Pro et Anti Djoumi.

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Et dans cette société complexe évolue avec tout autant de complexité une myriade de personnages tous plus ou moins reliés à l’héroïne, parmi lesquels Sookie Stackhouse, ravissante blondinette de 23 ans télépathe et tourmentée qui vit seule avec sa grand-mère. Serveuse dans un grill glauque où se déroule une grande part des évènements, elle y rencontre un soir son premier vampire, curieusement nommé Bill, un ancien soldat de la guerre de Sécession qui revient sur les terres de sa vie humaine pour s’installer et trouver la paix. De péripéties en sauvetage in extremis et contre toutes les règles des deux communautés (les humains réprouvant la liaison d’une humaine avec un fils du diable et les autorités vampires réprouvant l’attachement sentimental d’un "être supérieur" avec son garde-manger), une romance violente et passionnée s’installe. Au même moment, Jason, le frère de Sookie, un playboy campagnard mi-voyou mi-beau gosse se trouve au mauvais endroit au mauvais moment et est accusé du meurtre mystérieux d’une prostituée, le premier d’une longue série d’étranglements sauvages. Au même moment, la meilleure amie de Sookie, Tara (noire gouailleuse excellemment interprétée), désespérément amoureuse de Jason, paumée, et aux prises avec une mère alcoolique et brutale, quitte son job sur un coup de tête. Au même moment, Sam, l’énigmatique patron de Sookie voit ses sentiments pour elle resurgir et supporte mal l’intrusion de Bill dans sa vie. Au même moment, le cousin de Tara, Lafayette, cuisiner dans le restaurant de Sam, gigolo gay, commence à dealer du V. Au même moment, Andy Bellefleur, flic raté et méprisé, tente de sauver sa réputation en résolvant l’affaire du meurtre, et ce en tentant de faire avouer Jason. Au même moment, sur le parking du Merlotte (le grill), deux trafiquants de V attendent que Bill sorte pour le drainer. Au même moment… Les intrigues se chevauchent, s’éloignent, se croisent et se rejoignent avec fluidité et virtuosité, et autour de ces quelques intrigues gravitent encore plus de personnages, tous originaux dans ce microcosme glauque et malsain: René, cajun flegmatique et sympathique, Terry, le vétéran brisé d’Irak, hanté par les souvenirs de Fallujah, Arlene, serveuse exubérante amoureuse de René, Eric, "sheriff" vampire du coin, ayant autorité sur Bill, etc…

La première saison arrivera à son terme avec la révélation de l’identité du "tueur de femmes", ce qui peut laisser à penser que l’essentiel de l’intérêt de la série se situe dans cette intrigue centrale. La série reste captivante et HBO reste une valeur sure pour ce qui est du storytelling : le principe des intrigues multiples se faisant écho et se rejoignant fonctionne toujours, et l’idée de concentrer l’action dans quelques lieux charnières (le bar à vampires, le grill, la maison de Sookie, le commissariat) donne un curieux résultat, efficace : la série évoque la transformation majeure d’un univers entier, le plus important évènement de deux millénaires d’histoire, mais l’action reste contenue dans un cadre réduit trivial et insignifiant (on peut regretter de ne pas en savoir plus sur ce qu’il se passe "dehors") ; True Blood acquiert un cachet de "normalité" qui contribue à forger cette ambiance particulièrement poisseuse qui est la sienne. Un produit de bonne facture, donc, mais qu’on ne s’y trompe pas, son originalité se situe bien plus dans la psychologie des personnages et dans sa démarche de modernisation du mythe du vampire que dans le plaisir cinéphilique enfantin qu’on a à le regarder. C’était là le principal défi de la série : sortir du classicisme avec classe (lol), en bazardant le folklore pour garder l’essentiel (l’ail, les capes, les crucifix, l’eau bénite, les miroirs sont out, seuls l’argent, la lumière du jour et le pieu restent d’actualité, et les crocs des vampires sont rétractiles). Et les vampires sont réussis, puissants, beaux, toxiques, torturés, même baignés dans l’ambiance triviale et campagnarde de la série. True Blood est donc à la fois un conte fantastique, un long film noir, une série policière, une histoire d’amour, un drame familial, et si l’on fait l’effort de refuser le principe du "divertissement donc trop simple, trop évident" une réflexion sur notre intolérance.

True Blood
 

Chaque personnage amène sa complexité et sa profondeur : Sookie tout d’abord, jeune télépathe courageuse mais fatiguée de l’être, est incapable de se lier à un homme et, finalement, excédée par la pression de ses amis s’opposant à la fréquentation des "enfants du diable", tombe amoureuse d’un vampire. Elle représente par son inadaptation à la société le prototype d’une humanité future plus tolérante, plus aimante, plus droite. Bill, le vampire mystérieux, revenant habiter dans la maison de sa famille humaine, se haïssant lui-même pour ce qu’il est devenu (un vampire) et qui tente de retrouver son humanité sous ses instincts de chasseur en se liant à une jeune humaine surprenante ; Tara, déboussolée et sociopathe, esseulée et le vivant mal, amoureuse du seul qu’elle ne peut pas avoir, peut-être à dessein tente de reprendre prise sur sa vie sociale en miettes ; Jason, jeune homme charmeur mais incapable de résister à la tornade des évènements, représente d’une certaine manière l’opinion moyenne, la jeunesse moyenne, facile à détruire et à manipuler, mais non exempte de bon sens et de courage. En présentant des vampires ténébreux et effrayés, chasseurs et proies, retombant parfois dans leur penchant naturel par le massacre d’êtres humains, violents mais pas invincibles et d’avis divergents sur l’avenir de leur communauté, et en face, des humains qui sont soit poliment "racistes" envers eux, soit ouvertement haineux et extrémistes (les évangélistes présentant les vampires comme enfants du diable), soit cupides et sans pitié, drainant leur sang pour le revendre à prix d’or… True Blood nous fait sortir du manichéisme, enfin.

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C’est par les hésitations de chaque personnage sur la voie à adopter dans une société où les valeurs humanistes et chrétiennes classiques ne sont plus applicables telles quelles que la série nous amène à nous interroger sur les limites de ces conceptions, c'est-à-dire le fait qu’elles soient basées sur notre domination de la nature et notre solitude en tant qu’êtres conscients. Que ferons-nous, effectivement, quand nous ne serons plus les seuls détenteurs de la conscience, comment adapterons-nous notre foi, notre modèle social ? Comment coexister avec ce qui est différent sans se dénaturer et se trahir ? Avons-nous à conquérir notre humanité par un effort de comportement ou celle-ci nous est-elle acquise d’emblée, et peu importe les atrocités commises ? On pourrait songer à District 9… True Blood, honnêtement divertissante, laisse quand même un goût amer, peut-être dû à l’incroyable ambiance, malsaine et crasseuse, qui règne dans cette Louisiane livrée à elle-même (ambiance magnifiquement rendue par le générique, le meilleur de ces dernières années, à voir ici), ou peut-être tout simplement parce qu’elle nous montre une fois de plus à quel point nous sommes ignorants du monde comme de nos amis, faciles à manipuler, et inachevés, car incapables naturellement de penser une société que nous aurions à partager avec des êtres aussi bons et aussi mauvais que nous-mêmes.


TRUE BLOOD
Réalisation : Alan Ball, John Dahl, Michael Lehmann...
Scénario : Alan Ball, Charlaine Harris, Alexander Woo...

Production : Alan Ball, Brian Buckner, Nancy Oliver, Alexander Woo, Christina Jokanovich...
Compositeur : Nathan Barr
Interprètes : Anna Paquin, Stephen Moyer, Sam Trammell, Ryan Kwanten, Rutina Wesley, Chris Bauer, Carrie Preston...
Origine : USA 




   

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