Sherlock 3x01 – The Empty Hearse

Moriartistique

Affiche Sherlock saison 3

"Lorsque vous avez éliminé l’impossible, ce qui reste, si improbable soit-il, est nécessairement la vérité."- Sir Arthur Conan Doyle, Le Signe Des Quatre


Tout commence devant une tombe. Le spectateur sait déjà ce que le docteur Watson ignore : "Sherlock is alive!", comme le crieront les dizaines de tweets enthousiastes qui dans quelques dizaines de minutes rempliront entièrement l’écran. Cet hymne scandé prend source dans la bouche d’un public auquel l’épisode entier se voit dédié : les fans. Connaisseurs fanatiques de Sherlock Holmes, ces derniers, après avoir accumulé d’innombrables théories quant à la fausse mort du grand détective, ne seront jamais vraiment certains de connaître la pure vérité. Une vérité de l’ancestral. En débutant par l’énigme, l’on en revient aux origines. L’énigme, en fait, n’est qu’une façade, la question la plus appropriée n’étant pas "Why?" mais "Who knows?" !


DIVERTIRE, JEU ET ACTEUR
Ce "Qui sait ?", gage d’improbabilité et d’incertitudes, faisant de Holmes l’unique détenteur d’une réalité que lui seul peut envisager dans sa totalité. La Totalité. " La vie, mon cher, est infiniment plus étrange que tout ce que l'esprit humain pourrait inventer ! Il y a certaines choses que nous n'oserions pas concevoir, et qui sont pourtant de simples banalités de l'existence. Je suppose que nous soyons capables de nous envoler tous les deux par cette fenêtre : nous planerions au-dessus de Londres et nous soulèverions doucement les toits, nous risquerions un œil sur les choses bizarres qui se passent, sur les coïncidences invraisemblables, les projets, les malentendus, sur les merveilleux enchaînements des événements qui se sont succédé à travers les générations pour aboutir à des résultats imprévus à l'origine" (Un Scandale En Bohême)

Sherlock 3x01 - The Empty Hearse

Plus que tous les autres épisodes, celui-ci est un jeu rhétorique, d’un ludisme imaginatif riche, où, finalement, il ne serait pas tant question de vérité que de vraisemblance, et de l’art, rare et précieux, du récit. Difficile de ne pas penser, durant ce grand moment de télévision, à cette citation tirée d’Une Etude En Rouge : "Ce que vous faites n'a pas d'importance aux yeux du public. (...) Ce qui compte, c'est ce que vous lui faites croire !". Une remarque intemporelle, qui, par notre regard contemporain, illustre aussi l’oratoire antique que le roman-feuilleton, et son pendant moderne : la série télévisée. La suspension d’incrédulité devient ainsi la note d’intention, méta-textuelle tant elle ne cesse de captiver personnages et spectateurs à la fois. Les bases de la narration sont posées, et, derrière sa forme toujours aussi too much, cet épisode nous enseigne l’origine de la fabula. La manière efficace, fluide, adéquate pour raconter une histoire, du début à la fin, et, par-là même, de divertir l’audience.

Divertire… c'est-à-dire : détourner l’attention ! Et c’est bien de cela qu’il s’agit ici. Un tour de passe-passe.

Scénariste (Gatiss, également co-créateur de la série) comme protagoniste seront les magiciens de l’entreprise. Chacun use de son magic trick et, d’un peu de poussière, tente de conférer à l’impossible la puissance de la véracité. Sherlock Holmes est un illusionniste. Et il faut le voir, à la façon d’un Arsène Lupin ou d’un Fantômas, se grimer d’un déguisement pour mieux amuser le public de son arrogance, de son égotisme le rendant à la fois antipathique et brillant (1), de la moustache dessinée au bonnet ridicule. Il faut le voir multiplier ainsi les accoutrements, redevenir l’immense Holmes en fin de métrage, accumuler les rôles, en tant qu’acteur supertalentueux. "Son expression, sa façon d'être, son âme même semblaient varier avec chaque nouveau rôle qu'il endossait. La scène a perdu un grand acteur, de même que la science a perdu un raisonneur aiguisé, quand il est devenu un spécialiste du crime." (Les Aventures De Sherlock Holmes : Un Scandale En Bohême).

En vérité, il ne fait que tourner en dérision sa propre apparence, conscient de sa suprématie évocatrice au sein de son monde, encourageant la fiction à l’intérieur même de la fiction.

Sherlock 3x01 – The Empty Hearse


L’IMAGE ET L'ÉCRITURE
Susurré par tous, le nom de Sherlock n’a plus rien de la célébrité vulgaire d’un phénomène social : il devient les quelques syllabes d’un Mythe. Figure christique, tabassé dans un Purgatoire lugubre, les bras en croix, n’attendant que l’accomplissement de sa résurrection. Figure du Sauveur, dont l’impact va plus loin que l’empire britannique, touchant à la conscience intime, à notre impossibilité de ne pouvoir vivre sans croyances. Comme s’il parlait pour tous, Watson, lui aussi redevenu lui-même, retirant son déguisement (sa moustache) là où Sherlock l’endosse (sa tenue d’icône), dit à son vénérable compère : "Je t’avais demandé un dernier miracle. Je t’avais demandé d’arrêter d’être mort". Ce à quoi l’intéressé répond par une sentence aux consonances religieuses : "Je t’ai entendu". Plus qu’une personnalité, Sherlock devient la personnification de ces mythes qui, par leur caractère universel, savent répondre à nos questions intérieures.

"Je suis mes méthodes personnelles, et j'en dis aussi long ou aussi peu qu'il me plaît. C'est l'avantage de ne pas être une personnalité officielle." (Souvenirs De Sherlock Holmes).

Sherlock 3x01 - The Empty Hearse

Figure omnisciente, guettant de son regard perçant l’étendue d’un Londres qui semblait ne plus vivre sans Lui, dont quelques termes suffisent à définir la dimension spirituelle : "Je sais, j’étais là". Et pour mieux faire rayonner son prestigieux retour, le détective s’invente l’univers qu’il explore, totalement certain de ses moyens : il trompe autrui par l’absurde (la bombe au bouton OFF !), résout les affaire anecdotiques comme jamais, cherche la vérité en une transe l’expulsant du monde extérieur (l’introspection), narre ce que chacun veut savoir… sans vraiment en avoir envie (à la façon d’une légende urbaine, le mystère est essentiel à l’intrigue), et, comme tout Héros légendaire (Achille et son talon, ces mythes modernes que sont les super-héros), il révèle une faiblesse surprenante : l’humanité. Face à la nature humaine, Sherlock déclame son ignorance ("La nature ? Non. L’humain ? Non.") pour mieux révéler, encore une fois, sa science innée de l’être, par le biais d’une manipulation émotionnelle finale où la résolution n’était pas celle que l’on croyait : l’objectif primordial n’était évidemment pas de désamorcer une bombe…mais de désamorcer la rancœur d’un Watson, de finaliser un enjeu scénaristique. Tout est tellement… simple. "Les raisonnements de Holmes avaient ceci de particulier : une fois l'explication fournie, la chose était la simplicité même." (Souvenirs De Sherlock Holmes)

Encore une fois, émotions, attachement aux personnages, intrigue, tout est décomposé, et, en un mot, c’est le squelette narratif qui est exposé brillamment par un Holmes qui n’a pas oublié sa tactique première. Dieu de l’image, Sherlock est le Dieu du récit car sa parole est la perfection même. Une parole mathématique, qui ne laisse rien au hasard. "L'un des défauts de Sherlock Holmes (en admettant qu'on puisse appeler cela un défaut), était qu'il répugnait excessivement à communiquer tout son plan avant l'heure de l'exécution. Cette répugnance s'expliquait en partie par son tempérament dominateur : il aimait surprendre son entourage. En partie aussi par sa prudence professionnelle qui lui recommandait de ne rien hasarder." (Le Chien Des Baskerville)

Tout comme l’impossible s’exprimait en mots chez Conan Doyle, ici, Sherlock Holmes, en tant qu’image, gagne son immortalité par le biais des… images. Flash-backs ne cessant de questionner nos attentes de spectateur, iconisme plus grand que le réalisme auquel s’ajoute des bribes d’humain (Sherlock saignant du nez, torturé, mimant l’incapacité à résoudre un problème, ou discutant avec ses… parents !), vignettes sensationnelles (Sherlock jouant littéralement avec le feu), l’éventail de choix visuels et formels déployé n’est qu’une course narrative délectable pour la crédulité, où montrer c’est prouver, où voir c’est croire…

Sherlock 3x01 - The Empty Hearse

"Ce que je vais relater dans les lignes qui suivent pourra paraître quelque peu insensé ou incohérent ; il me faut avouer que certains points de cette enquête demeureront à jamais inexpliqués. Je dois me presser de coucher sur le papier notre ultime aventure, avant d'avoir tout oublié. Je sens déjà ma mémoire défaillir, comme si je me souvenais d'un rêve dont les détails s'effacent à chaque seconde qui passe." (L’Étrange Cas Du Dr Watson Et De Sherlock Holmes).
Ne pas montrer / écrire revient à mourir, à tuer l’essence du récit. La résurrection de Sherlock se fait donc par l’analepse : les souvenirs ou songes, durables dans l’inconscient populaire, et ce jusqu’à la parodie (Sherlock et Moriarty se roulant une pelle) ont ressuscité Sherlock Holmes, quand bien même ce dernier n’était pas mort… Etre "figuré", c’est être immortel. En mettant l’accent, dès les premières minutes, sur le symbole du masque, l’on nous invitait à danser au rythme de cette valse des apparences, du mensonge, de la duperie, du twist, chaque mot étant valable pour exprimer à la fois ce qu’est l’ enquête contée, le protagoniste adulé, et… l’Art. Ce qui est peint, écrit, ou filmé, n’est qu’un énorme mensonge, une irréalité, la déformation de ce qui est vrai. A partir de là, tout est possible, n’est-ce pas ?

D’autant plus qu’ici, l’artiste, c’est Sherlock, et par extension, l’Artiste est le Créateur… "Il me faut une exaltation mentale : c’est d’ailleurs pourquoi j’ai choisi cette singulière profession ; ou plutôt, pourquoi je l’ai créée, puisque je suis le seul au monde de mon espèce." (Une Étude En Rouge)

Créateur de l’histoire (centre de tout, metteur en scène d’une guignolerie en plein restaurant, scénariste, rhéteur dominant Watson, son frère et le public, revenant "indestructible"), Sherlock ne cesse de vivre à travers ce que l’on capture de lui, à savoir son image multiple (de l’héroïque au super héroïque, Cf. scène d’ouverture) celle-là même qui est finalement volée par une mitraille de flashes quand il s’agit "d’y aller et d’être Sherlock Holmes".

En vérité, il n’y a de conclusion que celle-ci, thématique autoréflexive indéniable de l’épisode en son entier : "Etre Sherlock Holmes".




(1) "L'égotisme qui était le péché mignon de Sherlock Holmes m'était insupportable." (Watson, Les Aventures De Sherlock Holmes)




   

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