Police Fédérale Los Angeles

Flic ou voyou

Affiche Police Fédérale Los AngelesIrrémédiablement daté, Police Fédérale Los Angeles ne peut être considéré pour autant comme vieillot ou passéiste. Avec ce polar chaotique, Friedkin orchestre une implacable plongée dans la déliquescence d’une époque et d’un genre.


Lorsqu’il adapte
To Live And Die In L.A., le roman de Gerald Petievich, un ancien agent des services secrets dont les fonctions s’étendaient de la protection des plus hautes autorités (président des Etats-Unis en tête) à la traque de faussaires de tous types, William Friedkin n’est pas au top de sa renommée. Après le faste des seventies où il connut un immense succès grâce aux classiques French Connection et L’Exorciste, sa côte est descendue en flèche avec l’éprouvante expérience et le fiasco commercial du pourtant époustouflant remake du Salaire De La Peur de Clouzot, Le Convoi De La Peur (Sorcerer en VO). Têtes Vides Cherchent Coffres Pleins (The Brink's Job), Cruising et Le Coup Du Siècle n’inverseront pas la tendance. Qu’à cela ne tienne, Friedkin ne renonce pas à la noirceur et l’ambiguïté qui le caractérisent, nourrissant une fois de plus son appétence pour la démarcation fragile entre le bien et le mal.

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Film miroir de French Connection, Police Fédérale Los Angeles quitte la grisaille du New York des 70's pour la chaleur du Los Angeles des 80's mais demeure sur les traces d'un représentant de l'ordre allergique à toute forme d'autorité aux actions moralement discutables. Richard Chance (William Petersen) est obsédé par la traque du faux-monnayeur Rick Masters (Willem Dafoe) responsable de la mort de son vieux coéquipier proche de la retraite. Il entraînera dans sa chute son nouvel équipier, l’agent Vukevich (John Pankow). 
Si l’on avait découvert Willem Dafoe dans The Loveless de Kathryn Bigelow et Les Rues De Feu de Walter Hill, ces personnages de flics sont les premières apparitions de Petersen et Pankow, acteurs de théâtre d’une troupe de Chicago découverts par Friedkin sur les conseils de son producteur lors d’une représentation d’Un Tramway Nommé Désir. Petersen s'y appropriait le rôle rendu célèbre par Marlon Brandon, dégageant un magnétisme auquel ne résistaient pas les jeunes filles se pressant pour voir la pièce.

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L’intriguant antagoniste Rick Masters, artiste-peintre, fait preuve de méticulosité dans son travail de faussaire qui, sous la caméra de Friedkin, apparaît comme l’exécution d’une ambitieuse peinture. 


JOUER AVEC LE FEU
Comme chez Michael Mann (ce ne sera pas le seul rapprochement entre les deux cinéastes), la recherche d'authenticité est importante pour Friedkin et se traduit par la documentation auprès de spécialistes de truands ou l'immersion en environnement naturel, via notamment des prises de vues en milieu carcéral parmi les détenus, quitte à leur faire jouer un petit rôle (la tentative de meurtre du perso de Turturo ; le pénitencier de Folsom comme cadre de l'action de Comme un Homme Libre). La maîtrise des techniques criminelles est indispensable pour insuffler l'impression de réalité recherchée. Pour Le Solitaire, James Caan prit conseil auprès de véritables perceurs de coffres au point d'être capable de reproduire précisément devant la caméra les gestes adéquats. Il en va de même pour Willem Dafoe pour le rôle de Rick Masters, qui passa plusieurs jours avec des faussaires au point que les faux billets créés pour les besoins d’authenticité du film vaudront quelques problèmes à la production tant ils étaient réussis. Un des responsables du département effets-spéciaux ramena chez lui quelques faux de 20 dollars seulement imprimés au recto, que son fils dépensera dans un commerce, alertant le FBI. Dans son autobiographie Friedkin Connection, le réalisateur révèle même qu'il dépensa de ces faux billets imprimés des deux côtés auprès de cireurs de chaussure et restaurateurs.

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Lancé à la poursuite de Masters, Chance est obnubilé par son objectif, pour lui la fin justifie les moyens, s'enfonçant toujours un peu plus dans les embrouilles, entraînant dans son inexorable chute le malheureux Vukovich. Cela se traduit à l'image par un montage syncopé digne d'un clip musical, certaines scènes se concluant abruptement, mouvement ne faisant que s’accélérer à mesure que progresse le récit, traduisant à la fois l'urgence dans laquelle sont désormais empêtrés nos deux flics ainsi que la brutale fin planant sur l'ensemble des protagonistes. Paradoxalement, Friedkin éclate cette noirceur au cœur de l'ensoleillée Los Angeles qui pour l'occasion se pare de tonalités crépusculaires, de teintes rougeoyantes comme si le soleil brûlait le paysage et les intérieurs. Cela se traduit par des plans qui semblent ravagés par un incendie.

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Ville et paysage semblent perpétuellement s'enflammer, alors que le climax se déroulera au milieu de l'entrepôt en flammes de Masters. Un embrasement qui se répercute dans l'attitude des protagonistes, chez Richard Chance et Rick Masters en premier lieu, tous deux au tempérament auto-destructeur. Le feu est l'élément associé à Masters avec lequel il détruit ses toiles et ses faux billets ; Chance est habité par feu intérieur qui lui fait perdre toute lucidité sur les méthodes employées pour accomplir sa quête vengeresse.

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SAUT DANS LE VIDE
Chance, chien fou qui flirte avec l'illégalité, est davantage sur le fil du rasoir à mesure que ses tentatives plus ou moins légales pour coincer Masters échouent lamentablement. La poursuite en voiture, morceau de bravoure que Friedkin désirait supérieure à celle déjà impressionnante de French Connection, figure à merveille la quintessence de ce plongeon en eaux troubles. Une séquence impeccablement analysée par Jean-François Tarnowski qui représente le point de non-retour pour Chance et Vukovich : incompréhension de la raison pour laquelle on les prend en chasse, mauvaise voie empruntée par la voiture des flics qui vont à contre-sens, innombrables obstacle rendant difficile voire impossible leur échappée... La séquence, admirablement construite, dépeint précisément la confusion qui secoue les deux policiers ayant outrepassé la loi. Le plus secoué, dans tous les sens du terme, est sans conteste Vukovich, complètement incrédule à l'arrière du véhicule conduit tambour battant par Chance. Subissant complètement les événements et actions entreprises par son partenaire, Vukovich est ainsi amené à se transformer. Ce dernier passe définitivement la ligne jaune au moment de buter Masters. Friedkin figure cette bascule par un freeze frame délavé, le Vukovich scrupuleux est désormais une figure du passé

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FAUX-SEMBLANTS
Police Fédérale Los Angeles joue délibérément sur les apparences trompeuses. Dès la séquence inaugurale où l'on voit Richard Chance et Jim Hart participer à la protection du président des Etats-Unis : confrontés à un terroriste islamiste prêt à se faire exploser, Chance le tient en joue, et c'est son coéquipier qui agrippe la jambe du vilain et le précipite dans le vide où l'explosion ne cause aucun dommage. Contrairement aux habitudes, et aux clichés, le plus alerte et efficace des deux n'est pas le plus jeune flic. Deuxième tromperie : alors que l'on pense que ce duo sera à l’œuvre le reste du récit, Hart va lamentablement se faire dessouder par l'homme de main de Masters. Un faux-semblant particulièrement révélateur intervient peu après le générique lorsque l'on voit Chance se tenir sur un pont au-dessus du vide, prêt à sauter. Mais plus qu'une tentative de suicide, il s'agit d'un saut à l'élastique réalisé par le policier. Attiré par les sensations extrêmes, il pèse sur lui une inéluctable menace. La mort plane.

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Chance, sous son assurance et ses postures, est un fragile loser au sang froid. John Vukovich, d'allure posée et professionnelle, est un falot incapable d'assumer son rôle de garde-fou. Masters est en apparence un doux esthète du crime mais s'avère être un redoutable et violent interlocuteur. Le danseur que Masters embrasse à pleine bouche dans les coulisses d'un bar s'avère être sa compagne avec une perruque. Le nom de Los Angeles renvoie aux anges, mais dans ce polar fiévreux et nihiliste Friedkin ne met en scène que des démons, ou en passe de le devenir.


FAUSSES VALEURS
Michael Mann et William Friedkin sont deux cinéastes emblématiques des années 80. Si une légende veut que le premier ait intenté un procès au second, l’accusant d'avoir plagié sa série Miami Vice avec Police Fédérale Los Angeles, il est exact que Mann ravit à Friedkin les droits d'adaptation du roman de Thomas Harris Dragon Rouge, qu’il adaptera avec Le Sixième Sens (Manhunter en VO). Mann emploiera d'ailleurs William Petersen dans un autre rôle de représentant de l’ordre, en déséquilibre non plus avec la loi mais avec sa propre santé mentale. Il ira jusqu'à proposer à Friedkin d'interpréter le docteur Hannibal Lecter mais le réalisateur de L'Exorciste l’enverra bouler. Néanmoins, lorsqu'on évoque Police Fédérale Los Angeles, impossible de ne pas y associer Le Sixième Sens, non pas pour les raisons exposées plus haut mais parce que ce sont deux films qui représentent ce qu'étaient les années 80, pour leur esthétique et surtout leur état d'esprit.
D
ans le numéro de Rockyrama consacré à Mann, Rafik Djoumi parle de Manhunter comme d'un manifeste dont To Live And Die In L.A. a défriché quelques aspects l'année précédente, les deux étant à leur sortie deux énormes bides commerciaux. Esthétiquement, les deux longs-métrages opèrent une sorte de syncrétisme en agglomérant tout ce qui définira ces glorieuses eighties en terme de couleurs, d'images, de sons (Tangerine Dream et Wang Chung)... Ils illustrent une certaine décadence qui infusera toutes les couches de la société aussi bien civile que du spectacle, avec en point d'orgue l'émergence des yuppies, ces jeunes ambitieux évoluant dans le monde de la haute finance, obsédés par la possession matérielle.
Cela se traduit pour Mann par le personnage du psychopathe Dolarhyde auquel la couleur verte est associée et dont la propagation instille le basculement de Will Graham, le profiler parti (en vrille) à sa poursuite. Le vert et le patronyme même du tueur, "Dollar-hyde", renvoient au dollar, mètre-étalon de la valeur qui fausse toutes les autres. De l'autre côté, Police Fédérale Los Angeles met en scène la propagation d'innombrables fausses valeurs, allégories de celles qui irriguent alors la société et travestissent les comportements. Avec en premier lieu la fausse monnaie bien sûr, qui inonde les quartiers de L.A., la vengeance comme moteur pour Chance, la perte de repères moraux qui lui fait traverser le Rubicon par l'adoption de méthodes répréhensibles, et enfin le fric comme ultime modèle régissant les interactions entre les individus.

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POINT LIMITE ZÉRO
Le recours par Friedkin à des ambiances colorées pour signifier une humeur ou une tonalité est moins prononcé que chez Mann mais on note tout de même ici un usage du rouge et du vert comme marqueurs des relations personnages et de leur évolution. Deux exemples frappants, avec tout d'abord une lumière rouge éclairant l'échange houleux entre Chance et Vukovich, le second ayant du mal à accepter les actions du premier, qui le pousse toujours plus loin hors du cadre légal. Outre le sentiment de colère qui anime les deux personnages, cette lueur souligne l'urgence de la situation. 

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Ensuite, lorsque Chance retrouve Ruth, sa compagne/indic, dans le bar à strip-tease où elle travaille : on retrouve cet éclat écarlate qui enveloppe Chance, signe de son caractère fougueux et de la dangerosité qu'il représente pour les autres (et pour lui-même). A cela s'oppose le vert recouvrant la jeune femme porteuse de renseignements déterminants pour s'emparer de milliers de dollars qui lui permettront de mettre un terme à sa chasse.

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Cet éclat rouge parcourt Police Fédérale Los Angeles au gré de teintes diverses et reste le signe ostentatoire d'une alerte sur les probabilités de réussite de Chance, que ce dernier occulte, poursuivant jusqu’à l’absurde son objectif personnel. Car si Will Graham parvient à s’extirper de cet enfermement mental et moral, au contraire Rick Chance se consume par sa vendetta aveugle et son existence sans horizon. Tandis que Vukovich, lui, embraye dans les pas de son défunt acolyte en reprenant ses postures et sa domination sur Ruth, ultime commentaire empreint d’une ironie mordante. Le parcours sans issue expérimenté peu avant n’a finalement servi à rien, les mêmes schémas sont condamnés à se répéter. Au-delà du cynisme, voici le terrible constat d’un vaste champ de ruines. Dans Le Sixième Sens, Mann contrebalance cette décadence mortifère avec une ré-humanisation toujours possible. Chez Friedkin, elle n’est même plus désirée.




TO LIVE AND DIE IN L.A.
Réalisateur : William Friedkin
Scénario : William Friedkin & Gerald Petievich
Production : Irving Levin, Samuel Schulman, Bud Smith
Photo : Robby Müller
Montage : Scott Smith
Bande originale : Wang Chung
Origine : Etats-Unis
Durée : 2h09
Sortie française : 7 mai 1986
Ressortie en version restaurée : 4 janvier 2017




   

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