Interview - Bustillo & Maury

Soudain Livide

Affiche Livide

Alors que mon rendez-vous était retardé de quelques dizaines de minutes, l’attaché de presse m’informa qu’Alexandre Bustillo et Julien Maury veulent me voir à deux, contrairement au reste de la presse de l’après-midi. Visiblement, une certaine réputation me précédait, et je sentis une petite appréhension monter.


Heureusement, les deux compères se sont montrés sympatichoux comme tout, en expliquant avec humour qu’ils préféraient affronter ensemble L’ouvreuse et le forum Tichoux pour défendre leur nouveau rejeton, Livide, qui risque, malheureusement, de laisser une bonne partie des spectateurs sur le carreau, malgré une première demi-heure impressionnante. Je tiens donc à les remercier pour la faveur, et bonne lecture !


Que s’est-il passé entre Livide et A L’Intérieur ?
Alexandre Bustillo : Pendant la post-production d’A L’Intérieur, on a écrit un scénario qui s’appelle Neiges, qu’on a très vite proposé à Thomas Langmann. Il était très intéressé donc on était ravis.
En parallèle on a vendu A L’Intérieur à Dimension des frères Weinstein, ces derniers nous ont tout de suite mis le grappin dessus pour nous proposer le remake de Hellraiser, ce qui nous enchantait aussi. On aime le film d’origine, les mecs nous laissent carte blanche pour écrire le scénario, ils nous font venir avec des sirènes… On part donc à New-York voir les frères Weinstein, puis à Los Angeles pour rencontrer Clive Barker, qui aime beaucoup la direction qu’on prenait.
Tout va bien, on écrit notre scénario, on le présente aux Weinstein, et là c’est le drame : ils nous disent que ce n’est pas du tout ce qu’ils veulent faire, qu’ils veulent être dans le délire Saw parce que ça cartonne. Notre héroïne c’était une meuf de quarante balais, eux voulaient une bande de teenagers pour revenir à un schéma de slashers très classique, très balisé. Avec Julien ça ne nous plaisait pas, mais on a quand même accepté dans un premier temps de retravailler avec les scénaristes de Saw justement (Dunstan et Melton). Ils nous ont proposé deux pitchs effarants de connerie, donc on a tout de suite dit que ça ne nous intéressait pas. Un film est un tel investissement qu’il faut en avoir l’envie.
On pète notre contrat avec les Weinstein, on revient en France bosser sur Neiges avec Langmann, jusqu’au jour où très vite les Weinstein reviennent vers nous pour nous proposer Halloween 2, la suite du Rob Zombie. On accepte illico presto sans même se concerter parce qu’on est fan absolu de Michael Myers et du film de Zombie. On écrit un premier traitement, ça se passe bien, ils trouvent ça super. Pour une fois on s’entend, parce que pour le coup c’est un slasher, donc ils avaient leurs minettes qui allaient se faire décimer. Tout va bien, on part à Londres rencontrer Malek Akkad qui est le détenteur de la franchise.
Jusqu’au jour où Rob Zombie décide de revenir. Là on s’est fait éjecter très poliment.

A L'Intérieur
A L'Intérieur


Il n’en reste rien ?
AB : Non.
Julien Maury : Non. C’était totalement notre délire. Vraiment.
AB : Ah si ! Peut être un détail ! Un plan ! Mais c’est une connerie ça nous faisait marrer. C’est un plan qu’on avait vraiment détaillé à l’écriture, dans une scène qui se passait dans un parking.
JM : Attention ! C’est tout ce qui reste du film !
AB : C’est dans un parking souterrain, où Myers traque Laurie. Il était sans arme et il arrive devant une cage anti-incendie à l’intérieur de laquelle se trouve une hache. Il passe son bras à travers la cage de verre d’incendie en cassant le carreau juste autour de son bras sans le péter, et en sortant la hache il explose tout le verre. Ca c’était dans Halloween 2 ! Ah l’enculé il a piqué le coup de la hache !
JM : On voulait vraiment retrouver un truc à nous !
AB : Non mais sérieusement il ne reste rien. En plus Rob Zombie a été très classe avec nous en nous disant : "Les gars, je reviens, désolé". Franchement on s’est fait éjecter comme quand tu éjectes une meuf avec amour et douceur.
On est donc revenu à bosser à plein temps sur Neiges chez Langmann. Le film était vraiment avancé, storyboardé, l’équipe était complète, le casting bouclé, et on s’est fait virer du jour au lendemain. Vraiment dans l’heure, on nous a dit : "Rentrez chez vous, c’est fini, on ne veut plus le faire", la guillotine. Raison financière, c’était un projet dur à monter à l’époque. Xavier Gens a subi exactement le même sort avec Vanikoro deux semaines avant nous. Il était dans les bureaux d’à côté, il rigolait en nous disant : "Hé les gars la semaine prochaine c’est vous !" "Ah t’es con Xav…" Et bah si tiens. La semaine d’après c’était nous !
L’ironie du sort est qu’on avait écrit le synopsis de Livide qu’on a envoyé à Franck Ribière (Ndlr La Fabrique 2, producteur de A L’Intérieur) et on avait rendez-vous le soir même avec lui pour en discuter, juste en discuter. Vu qu’on venait de se faire virer, on s’est retrouvé avec plein de temps libre et on est parti sur Livide, qui devait se faire aux Etats-Unis, produit par Troublemakers le studio de Robert Rodriguez. On l’aurait tourné dans ses studios à Austin pour les intérieurs, et en Irlande pour les extérieurs, avec un budget de huit millions de dollars. Un bon budget… pour nous. Cela ne s’est pas fait non plus parce qu’ils voulaient le réécrire et l’emmener dans des directions qu’on n’aimait pas du tout. La même logique qu’avec Hellraiser : on ne voulait pas faire un film pour faire un deuxième film mais faire NOTRE deuxième film. On a attendu six mois et on a décidé de le faire avec Franck dans la même économie que A L’Intérieur : même budget, même durée de tournage…

A L'Intérieur
A L'Intérieur


Est-ce un hasard que votre deuxième film se concrétise avec la Fabrique ?
JM : Non ce n’est pas un hasard… On a fait notre premier film avec eux, ça crée des liens forts, de confiance, on ne s’est jamais perdu de vue, on s’est tenu au courant de ce qu’ils faisaient, ils nous proposaient des trucs… Non c’est pas du tout un hasard : mine de rien, en France, ils font partie des derniers à vouloir faire du genre. Tu les comptes même pas sur les doigts d’une main. Ils ont eu la possibilité de monter un projet, on avait un pitch : ça s’est fait tout naturellement. Ils voulaient retravailler avec nous, avec des opportunités de coproduction avec l’Irlande, ils ont pensé à nous.

Il a été dur à monter ?
AB : Ça s’est monté assez rapidement. Oui et non parce que c’est une économie très réduite, on a raboté le script, le film coute vraiment moins de deux millions d’euros. Tu les trouves.
Et oui parce qu’on voulait plus d’argent et de temps, et non parce qu’au moment où on s’est dit qu’on le faisait en France, il s’est fait très vite. C’était plutôt appréciable.

Livide
Livide


Agnès Merlet, qui présente ici son nouveau film Hideaways, a aussi eu recours à une coproduction (irlandaise, suédoise) : est-ce la solution pour les films français ?
AB : Je pense que bientôt ça va l’être. Comme le disait Julien, il n’y a plus de producteur en France qui veulent mettre de billes dans les films de genre français qui se plantent tous. Il n'y a pas un succès : les derniers sortis sont catastrophiques. Derrière Les Murs a fait 15 000 entrées, avec Casta, en 3D et un sujet soi-disant plus mainstream. On ne pourra jamais espérer avoir plus de deux millions. Si un jour on veut sortir de ce carcan ultra-étriqué de budget ultra-réduits, oui il faut s’ouvrir aux coproductions, aller chercher de la thune ailleurs et faire des films en anglais. Du moins tourné en langue anglaise avec des financements qui viennent des quatre coins du monde. Je pense que notre prochain truc va être ça.
JM : Pour nous, l’idée c’est d’essayer au maximum les studios pour ne pas se faire bouffer. Si on peut trouver une production française voire européenne, avec un montage financier européen, tourner dans un autre pays, en Espagne par exemple,  et à l’arrivée avec des acteurs anglais et américains, un financement américain, tu as la même position que si tu l’avais fait avec un studio.
C’est peut être la solution, et on garde la mainmise sur notre projet et notre liberté artistique, sans se faire violer par des gros studios ricains.
AB : Mais on n’est pas borné à se dire qu’on ne veut faire que nos trucs. On a accepté un autre projet, qui ne s’est pas fait hélas, et qui ne se fera probablement jamais, parce que c’est un western. Aujourd’hui même Johnny Depp et Gore Verbinski n’arrivent pas à monter leur western. Comment des mecs pareils, qui ont fait Pirates Des Caraïbes, qui a ramené de la thune à Disney, n’arrivent pas à lever un budget pour leur western ?
Le scénariste de ce script, le plus brillant qu’on ait jamais lu, qui s’appelle Les Brigands De Rattleborge, un western apocalyptique comme t’as jamais vu, avait adoré notre premier film et voulait absolument qu’on le fasse. C’est un film qui a quand même été développé par Cronenberg, par Tarsem Singh, des grosses pointures quoi : et personne n’arrive à le monter. Il n’y a rien à retoucher : c’est mortel. Un western crépusculaire et fantastique  comme on ne verra jamais hélas. Depuis que Cowboys Et Aliens s’est planté, les mecs s’en foutent. Ils ne veulent plus mettre de thunes. On en parlait encore avec notre agent américain il y a trois jours à Toronto sur le script, il nous a dit de laisser tomber, le film coûte très cher. En plus c’était avec Daniel Craig qui vient de se griller dans Cowboys Et Aliens. C’est mort !

Livide
Livide


Comment avez-vous évité un des écueils de A L’Intérieur, le trop gros nombre de références ? Je les ai trouvées beaucoup mieux intégrées sur ce film.
AB : Tu trouves qu’elles sont plus digérées ?
JM : C’est un peu une erreur, mais on a un peu le syndrome qu’on avait sur A L’Intérieur, parce qu’on est des jeunes réals, c’est de se dire que c’est peut-être notre dernier film, d'où le côté "vouloir tout mettre dedans". Du coup à l’arrivée il y a plein de choses, c’est très généreux, et on n’a pas une histoire qui va droit au but.
Après nos influences je pense qu’elles sont multiples. Au tout début ce qu’on voulait faire c’était un film old school, un fantastique à l’ancienne, à la Hammer, où on prend le temps de mettre en place nos personnages, de mettre en place l’histoire. C’est à mi-chemin entre ça et les films d’Argento, Suspiria en tête. C’était notre première motivation : du fantastique comme cela fait longtemps qu’on n’en a pas vu. Il y a plutôt une mode à faire un cinéma très premier degré et réaliste, on n’en a fait partie avec A L’Intérieur, mais on avait envie d’explorer d’autres territoires, d’aller voir autre chose, d’explorer le fantastique onirique, assez décomplexé. Cela était notre vrai premier moteur. Sur A L’Intérieur, on s’était vraiment raccroché à elles parce qu’on était débutant, on faisait "à la manière de".
Ici on s’en est plus affranchi, les références étaient plutôt après coup. Des mecs nous ont dit : "Hé les mecs ça c’est dans Shining" "Ah oui ! Merde !"
AB : on est fan avant tout des films de la Hammer, d’Argento, de Del Toro, un cinéma onirique à mort, cocaïné jusqu’à la moelle, qui livre des images en pâture incroyables. C’était déjà notre but un peu avec A L’Interieur : aller chercher une certaine beauté dans des images abominables. J’adore le dernier plan de A L’Intérieursur Alysson Paradis éventrée et Béatrice Dalle qui tient le bébé. Pour nous se sont des belles images avant d’être des images abominables. Surtout dans un film fantastique comme Livide, qui est un film poétique.

Livide
Livide


Pourquoi avoir tourné cette sous intrigue avec Catherine Jacob, qui n’arrive jamais à vraiment s’intégrer à l’intrigue principale ?
AB : Quand on développait le scénario aux Etats-Unis, cette sous-intrigue était beaucoup plus développée. On l’expliquait vachement mieux, il y avait des flashs-backs.
On n’avait pas le temps et pas l’argent pour le faire. On a raboté, raboté... Moi je trouve que ça passe. Sous-intrigue, c’est même un grand mot.

Le FEFFS a projeté pas mal de films tournés avec une économie extrême de moyens, avec succès (Kidnappés, Harold’s Going Stiff). Pourquoi cela ne se fait pas en France ? Visiblement ce n’est pas qu’une question de fonds. A cause de leur concept ?
JM : C’est ce que j’allais dire tu vois. Si tu n’as pas le concept…
AB : On essaye de trouver des concepts mais on n’est pas des génies.
JM : Ça existe, il y en a des mecs qui font ça, je trouve que c’est une très bonne manière de faire, à la Jackson ou Raimi. Nous on a commencé comme ça, avec un caméscope et en y allant. Pour A L’Intérieur, quand on s’est rencontré, on ne connaissait personne dans le cinéma, dans ce milieu, on voulait le faire les week-ends dans notre jardin, tourner façon guérilla : si c’est propre on le montre, si c’est nul on en refait un autre derrière. On a eu la chance de trouver des prods. Maintenant je pense qu’il y a plein de gens qui font ça, avec les appareils photos, le 5D, il y a une facilité d’accès aux outils.
Il faut trouver des concepts, qui ne sont pas indéfinis. Il faut la bonne idée, et il faut que les gens te suivent aussi. Le film concept peut marcher avec des prods comme pour Buried, mais combien passent à la trappe ? Il y a plein de films fauchés aux Etats-Unis, surtout avec la mode des found footage, ça y va. Nous, comme on se disait avec Alex, on a besoin de bosser, on n’est pas des génies comme Del Toro, Cameron, Spielberg. Dès leur premier film ils ont mis des baffes à tout le monde. Nous on doit faire des gammes. A notre petit niveau, je pense qu’on s’est amélioré par rapport à A L’Intérieur, et je pense que pour notre troisième on s’améliorera. Peut être qu’à un moment on arrivera à faire des films vraiment satisfaisants. Mais on n’a pas eu l’idée du film concept de ouf qui va mettre tout le monde d’accord !
AB : Des gamins en forêt se filment…
JM : C’est bon ça !
AB : et d’un coup ils se font enterrés…
JM : On va croiser les concepts. (rires) En plus en France ce n’est pas comme aux Etats-Unis où les scénarios circulent. Ils achètent un scénario puis font un appel d’offre avec des réalisateurs…
En France, les mecs écrivent des scripts et veulent les réaliser ! Du coup avec nos maigres moyens on écrit parce qu’on ne nous propose rien en France. On n’a jamais lu un script français parce qu’on ne nous en a jamais proposé. Pas un. Alors qu’on a des scripts américains qu’on nous envoie. Il n’y a pas la circulation des idées.

Livide
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Il y a des gens de Mad Movies au générique, j’ai vu que Rurik Sallé a composé une partie de la musique.
AB : Rurik Sallé est un de mes potes de facs, on se connaît depuis quinze ans, c’est un de mes meilleurs copains. Alors oui… Oh la question piège je sens !
JM : La question tichoux !
AB : "Ah ces enculés ! Je te l’avais dit ils sont tous potes entre eux !"
Ce sont nos potes, et avec Rurik c’était même avant Mad. Il a fait deux chansons sur le film. On voulait deux chansons dont on n’a pas pu avoir les droits.

Hélas, par manque de temps, nous avons dû nous arrêter là, alors que je voulais aborder par cette question l’analogie entre la Nouvelle Vague et ce que les anglos-saxons appellent la New Wave of french horror, et notamment la récurrence du lien presse - industrie. A charge de revanche !


Remerciements à Lison Müh-Salaün, Lucie Mottier et Bénédicte Vagne.

 




   

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