Interview - Albert Dupontel

Le bonjour d'Albert

Albert Dupontel

Rencontre avec Bernie le Créateur Vilain. Enfin pas si vilain que ça, sauf peut-être pour Laurent Biniolas.



Pour Bernie vous aviez utilisé le même décor.
J’ai tourné à Stains, une petite ville de banlieue nord de Paris, où j’ai tourné Bernie il y a treize ans maintenant. Bizarrement cette ville a des décors assez urbains, assez pittoresques, de la cité à ces petites maisons jaunes, elle s’appelle la Cité Fleurie, qui est un lieu protégé. Ce sont des maisons d’ouvriers qui datent des années trente et qui maintenant sont des sites classés. En retournant sur les lieux du crime treize ans après j’ai retrouvé cette cité dont je me rappelais les caractéristiques, et pour poser l’univers du film je trouvais ça parfait.

Les gens du quartier ont participé au film sans aucun problème, on a toujours été très bien accueilli. Pourtant c’était un quartier où on nous disait qu’il fallait faire attention, mais les gens étaient charmants.


La chambre est particulière.
Le principe était toujours d’imaginer une sorte d’Harry Potter de banlieue un peu déviant. L'intérieur était fait en studio : on l’a construit en fonction des mécanismes qu’avait mis au point le Vilain quand il était enfant, il était très ingénieux. On retrouve toute une chambre truquée au service des vilenies du Vilain.


Les volumes y sont surdimensionnés non ?
Les volumes sont un peu modifiés par rapport à l’architecture extérieure mais c’est un vieux truc de cinéma, parce que si on veut pouvoir faire quelque chose avec la caméra, il faut se donner un peu plus de place. Cela permet d’avoir plus de liberté. L'intérêt d’être en studio, c’est qu’on peut retirer les plafonds, on peut retirer les murs, quasiment tout. C’est important sinon on ne peut pas faire grand-chose.


En tant que réalisateur, quelle place prenez-vous dans la direction artistique, la photo ?
La photo est très précise, je veux des choses très précises. J’avais par exemple un excellent chef-op sur Enfermés Dehors qui s’appelle Benoit Debbie, que j’ai rencontré sur Irréversible : mais je ne délègue rien à personne. Des fois à tort mais la plupart du temps c'est bien parce que je précise ce que je veux, et des gens de talent derrière s'expriment encore plus précisément. On ne peut pas déléguer quelque chose d'aussi important que la photo à quelqu'un en disant simplement : "fais la photo".

Aujourd'hui, avec les nouvelles pellicules (notamment la Kodak Visio qui change de numéro chaque année), la sensibilité est vraiment de plus en plus forte donc on peut encaisser des amplitudes de basse lumière très facilement. J'ai voulu en studio le plus possible d'éclairages d'appoint, et pas d'éclairages de rajout ni de gamelles hors champs. Il y a un plan, quand le vilain vient chez sa mère, où il y a huit luminaires qui éclairent la pièce : cela confère à l'éclairage un relief, une brillance et un contraste particulier. Il n'y a quasiment aucun rajout. J'ai horreur des kino flo, qui sont des tubes de néons qu'on ajoute systématiquement. Cela aplati les contours.

Aujourd'hui, avec les progrès (mais je l'ai découvert sur ce film encore plus que sur Enfermés Dehors) il est aussi important d'avoir un bon étalonneur que d'avoir un bon chef opérateur, parce qu'avec le numérique on fait des étalonnages remarquables, on reprend des choses (pas forcément des erreurs), on redensifie.

Il faut filmer en chimique mais il faut projeter en numérique. Vos intentions en sont décuplées.


Vous ne voulez pas filmer en HD ? Même avec les nouvelles caméras ?
Non je ne trouve pas ça du tout intéressant. Il y a 35 millions de pixels en argentique, ce qui n'est pas du tout le cas de la HD, et tout ce que j'ai pu voir aujourd'hui donne une photo anormale. L'étalonnage, lui, amplifie la réalité, ce qui était adapté à l'univers du Vilain.


Le Vilain
Le Vilain

Votre montage est très précis, notamment sur la séquence de la chute dans l'escalier. Vous faites un découpage avant de tourner ?
Il y en a même plusieurs, pareil pour les storyboards. On espère avoir tous les plans qu'il faut au tournage. Sur ce film il y a six mois de montage pour 1h24 de métrage à l'arrivée  parce que finalement l'équation ne marche pas forcément comme on le pensait en pré-production, il y a des changement. Notamment pour un des gros changement au niveau du film qui a consisté à le faire débuter par Catherine Frot puis enchaîner avec l'arrivée du Vilain : on a trouvé cette ordre en mars alors que le film était fini en novembre. Ce temps était finalement totalement nécessaire, et même lorsqu'on croyait avoir fini il y avait encore des modifications. Après les premières projections pour le public, organisées plus ou moins clandestinement, il y a des réactions qui vous mettent le doigt sur des choses. En mars j'ai vraiment changé toute l'organisation du film par rapport au scénario.


Et vous vous couvrez beaucoup en tournage ?
Je me couvre oui et non... L'avantage de multiplier les plans c'est d'abord de chauffer les acteurs. Catherine était vraiment mure pour son rôle en fin de journée. Après, forcement, j'ai le matériel que je veux. La grande hantise de beaucoup de metteurs en scène c'est d'arriver au montage sans avoir les plans qu'il faut. Il y a une nuance entre se couvrir et overcuter. Je ne me couvre pas : je fais les plans nécessaires et si je sens qu'il manque quelque chose, j'en fais d'autres. Mais en général j'ai tout ce qu'il me faut. Il m'est arrivé de retourner mais pour changer l'esprit de la scène.


Vous avez publié des vidéos sur Dailymotion avec des petits trucs de mise en scène.
Moi, j'ai manqué beaucoup d'informations quand j'ai commencé le cinéma. Si cela peut aider des gens à faire un certain de style de cinéma tant mieux.

Quand on voit le résultat, cela a un petit côté magique. En vrai on voit les câbles, les gens qui transpirent, c'est laborieux mais par la grâce du montage et du numérique cela devient comme si c'était réel.


Pour
Bernie, Jan Kounen vous avez donné des trucs aussi.
On parle de cinéma avec Jan. A l'époque il avait fait beaucoup de courts-métrages. Il y avait un plan où je séchais, celui de subjectif de balle. Je voulais le faire avec un steadycam, je n'avais pas les moyens : il m'a dit "T'as qu'à mettre une photo au bout d'un tube". En fonction de cette idée j'ai bricolé pour voir si ça marchait : et ça a très bien marché. Le plan dure une demi-seconde. C'est une astuce de court-métragiste. Jan était un grand court-métragiste comme il est grand metteur en scène aujourd'hui. Ce sont des secrets d'alcôves qu'on peut partager entre collègues qui cherchent à faire un même type de cinéma.

Vous utilisez beaucoup d'astuces comme ça, pas forcement très cher...
J'ai pas des budgets délirants et je trouve que c'est un point d'honneur à être artisan, à trouver des astuces qui marchent sans forcement en avoir les moyens.

Les plans en steadycam par exemple sont utilisés par tout le monde aujourd'hui. Dans Enfermés Dehors je voulais trouver autre chose : la caméra portée est un peu trop heurté, la steadycam tout le monde le fait, ça banalise l'image. Du coup on a utilisé un système appelé EasyRig : c'est un système avec une sorte de perche et un élastique, j'ai pratiquement fait tout le film comme ca. Donc ça bouge mais pas trop. Ce sont des choix de fabrication en fonction de ce qu'appelle le film.


Quelle était votre idée pour la musique ?
Avec le musicien (Christophe Julien, ndlr) deux thèmes nous intéressaient : pour le générique de fin Dor e Dor de Tom Zé et Surfin' Bird des Trashmen, qui sont des chansons qui commencent à dater.

Mais pour la musique je voulais un Harry Potter déviant. Je n'ai pas l'oreille musicale mais j'ai suggéré des harpes, des choses comme cela. Le type est très doué et s'est adapté à ma demande.


Albert Dupontel
Président

Votre film contient aussi beaucoup d'effets spéciaux numériques.
J'essaye de les cacher dans le film. Il y a un moment où les chats sont en 3D mais je vous mets au défi de les repérer. Tous les gros plans sont des vrais et les plans larges sont en 3D. Mikros a extrêmement bien travaillé, même moi à la fin je ne les distinguais plus.


Vous dites que votre film est une fable, cependant on n'y trouve pas de morale à la fin.
C'est une fable parce que je trouve ça plus doux qu'une farce. Bernie est une farce, plus agressive, plus violente dans la forme et le fond. Celui ci est un film plus sobre, parce que j'ai filmé un huis clos et les prouesses de caméra n'étaient pas forcément utiles. Le fond est plus doux parce que ce sont malgré tout des gens dont on devine très vite qu'ils vont se découvrir et s'aimer malgré tout.

Mais la vie n'a aucune morale, pourquoi s'encombrer de morale dans un film ? C'est une question qui m'a toujours étonné. Il n'y a pas de morale dans l'existence.


Vous dédicacez votre film à votre père, Guy-Philippe...
Oui c'était mon père...


C'est un film sur le rapport parent/enfant, est qu'il y a une résonance avec votre vécu ?
Ce n'est pas un film autobiographique, j'ai eu une enfance équilibrée, heureuse même si cela ne se sent pas forcement dans mes films.


Il était médecin, vous avez fait des études de médecine que vous avez quitté, contre sa volonté...
J'étais à un âge où on ne pouvait plus me contrecarrer de toute façon. J'étais au service de neurologie et j'en avais marre de voir des épilepsies à chaque fois que j'ouvrais une porte. J'ai été un peu mis à la marge de la fac parce que je n'allais plus à l'hôpital, donc ils m'ont fait comprendre que mon stage ne serait pas validé (ce qui était compréhensible). Du coup j'étais en rupture sociale pendant quelques mois et je suis entré dans un cours de théâtre (de Yves Pignot, ndlr) dont je ne suis jamais revenu. C'est aussi bête que ça.

Mais non, tous mes films ont beaucoup de rapport avec l'enfance. Je pense qu'un adulte est quelqu'un qui se donne un mal de chien pour ne pas laisser paraître l'enfant qui existe encore. Quand on est artiste on a la chance d'avoir le droit de faire ça (rires).


Claude Perron, votre compagne, était sur le plateau de La Horde au moment où vous tourniez Le Vilain. Vous qui appartenez à la génération des 90's, que vous inspire de l'état des lieux du cinéma français aujourd'hui ?
Le cinéma français ne veut rien dire et tout dire. La preuve, il y a des p'tits gars comme moi et d'autres. Je n'ai pas envie de critiquer le cinéma français parce que c'est un des seuls qui résiste à la culture américaine. Le cinéma français, tant qu'il est là, il y a de l'espoir. Il faut le critiquer mais aussi le protéger. Peut mieux faire mais doit exister !



Remerciements à Robin Citeezen et à Albert Dupontel.




   

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