Gérardmer 2020

Club des 27 ?

Affiche Gérardmer 2020Le Festival International du Film Fantastique de Gérardmer a vécu sa 27ème édition sous une pluie sans fin du 29 janvier au 2 février dernier. Nouvelle décennie + âge symbolique, doit-on s'attendre à ce que Gérard meurt™ à la fin ?

 

La seconde moitié des années 2010 proposa des sélections lorgnant sur les figures imposées du genre sans réelle prise de risque. Peu aidé par sa position dans le calendrier, le doyen gérômois récoltait ses pépites dans l'écume des événements le précédant (It Follows, The Witch, Grave, The Unthinkable) quand il n’occultait pas LE film capable de concilier sa vision "respectable" du fantastique avec une certaine exigence (Hérédité). La cuvée 2020 fait un effort du côté des exclus même si la sélection s'avère molle du genou, seulement trois oeuvres parvenant à susciter un minimum d’enthousiasme à l’auteur de ces lignes. En dépit de l'avertissement de notre Christophe Lambert national en 2013, perdurent les invitations de longs-métrages abordant le genre du bout des doigts, meilleur moyen semble-t-il pour les auteurs d'acquérir une certaine respectabilité auprès des publics peu fantasticophiles ainsi qu’une couverture médiatique plus large.

 Alien Crystal Palace. A peu de choses près le Grand Hôtel de Gérardmer

Alien Crystal Palace, à peu de choses près le Grand Hôtel de Gérardmer


Cette édition permit néanmoins de déterrer quelques belles prises, dont trois petits bijoux de la Hammer Films (La Momie Sanglante, Dr. Jekyll & Sister Hyde, Une Fille... Pour Le Diable), une version restaurée du séminal Häxan, La Sorcellerie A Travers Les Ages de Benjamin Christensen ou le pittoresque Crocodile De La Mort de Tobe Hooper, qui se bonifie gentiment avec le temps. Ce fut également l’occasion de rassembler la fine fleur du cinéma fantastique français de ces deux dernières décennies pour une rétrospective soulignant la rareté des projets hexagonaux misant franchement sur l'imaginaire. On retiendra enfin l’investissement de l’équipe du nanar Alien Crystal Palace dont le jury comprenait deux membres éminents : Asia Argento (présidente du jury) et Arielle Dombasle. Mais le festival de Gérardmer, c’est aussi et surtout une ville repeinte aux couleurs du genre pour une semaine, le Chalet de la Peur (en lieu et place de la Villa L’ouvreuse), les à-côté d’artistes peu recommandables et des bénévoles investis. Il serait donc bête de ne pas lui laisser le bénéfice du doute une année de plus en décrétant que les résolutions de la nouvelle décennie prendront effet en 2021.


RATS DE LABORATOIRE
Après le martial et caustique The Art Of Self-Defense (sorti en VOD en décembre dernier), Imogen Poots et Jesse Eisenberg sont de nouveau réunis avec Vivarium, second long-métrage de l’irlandais Lorcan Finnegan qui rafla une pelleté de prix à l’Etrange Festival de septembre dernier. Nous y suivons le calvaire d’un jeune couple racolé par un agent immobilier très spécial dans une ville aux maisons fabriquées en série destinées à accueillir moult familles. Planté par l’agent, le couple ne parvient plus à déguerpir de ce labyrinthe pavillonnaire tandis qu'il se voit confier la garde d’un bébé à élever à leur corps défendant. L'enfer ne fait que commencer.

Vivarium se pose comme une métaphore particulièrement réussie de la vie moderne dans les banlieues résidentielles, et souffre donc des limites de son concept. S'il incarne bien la pression sociale et l'aliénation de ce mode de vie propret par des mécanismes à peine perceptibles (telles les meilleures intentions des personnes piégées), le couple doit rapidement faire face à un enfant "magnétophone", espion des entités qui les a piégés (dont on ne connaîtra bien heureusement jamais l’origine) et moteur du récit : représentation du rejeton 3.0 qui n’appartient plus à ses parents mais à la collectivité, éduqué par des programmes de télé hypnotiques et en demande d'attention permanente. Dans sa volonté de faire ressentir le poids d’un quotidien étouffé dans ses cloisons lumineuses (voir la solitude face à l’absence de voisins en dépit de la profusion de maisons), Vivarium emprunte une veine absurde au final cohérente et fabulante. Tout au plus pourrait-on regretter que les personnages ne s’enflamment pas plus pour sortir du cadre, comme a su le faire le Truman Show ou Le Prisonnier, leur auteur se contentant d'étirer un postulat d'épisode de La Quatrième Dimension.

Vivarium

Vivarium


Le renfermement social est également au programme du long-métrage de David Marmor 1 BR: The Apartment, qui n’est pas une visite en 4K d’un appartement témoin. Une gamine en conflit avec son père y dégote un bel appartement avec de sympathiques voisins qui l’entourent de leur affection. Un paradis et une révision des priorités pour notre petite individualiste ? Bien sûr que non, car nous sommes au sein d'un thriller paranoïaque dans la lignée de Rosemary’s Baby ou Le Locataire. 1 BR, couronné du Prix du public, dynamite l'idéal collectif en adaptant des peurs et obsessions héritées des 70’s depuis déplacées dans la sphère des technologies et de la vie privée. Véritable négatif de Vivarium, l'objet mise sur l’omniprésence du voisinage, hélas trop mécanique et grandiloquente, dénuée de l’angoisse insidieuse, graduelle, qui fit le succès des thrillers de Polanski. Marmor se montre impatient, et même parfois complaisant dans le processus de torture et les changements de point de vue, trahissant un penchant pour la facilité. Ce qui s'illustre chez l’héroiïe incarnée par Nicole Brydon Bloom, trop policée pour attirer la sympathie, et des voisins bien trop caricaturaux pour ne pas voir venir le bail. 

1 BR: The Appartment

1 BR: The Appartment

 

ÉMISSIONS RELIGIEUSES
Gérardmer a toujours eu au sein de sa sélection des oeuvres qui se plaisent à jouer avec les névroses sous couvert d’installer une ambiance. Digne successeur du Goodnight Mommy, The Lodge de Severin Fiala et Veronika Franz est également centré sur des enfants, un frère et une sœur, qui doivent faire face au suicide brutale de leur mère. Le père leur impose une belle-mère psychologiquement fatiguée (elle a grandi dans une secte) et propose à tout ce petit monde un séjour dans un chalet avant de se carapater et de laisser la nouvelle conquête avec ses deux gosses.
Fidèle à corpus de ce millésime, The Lodge est un faux huis-clos sur l’enfermement familial, les torpeurs enfouies et les coups bas dont les têtes blondes ne sont pas avares. Fiala et Franz placent toutes leurs billes sur l’ambiguïté et la dilution temporelle, ce qui incite à aller reprendre un café et le touiller en se demandant comment interpréter ce qu’on nous présente. Le meilleur moment du film est donc un des seuls qui soit direct et sans fioritures au milieu de twists mineurs, d'un autre qui se rêve gros et attendu mais qui révélera surtout que les réalisateurs étaient conscients que leur gestion de la tension est loin de ce dont étaient capables Shyamalan ou Amenabar. Un beau sentiment de remplissage, d’incohérences et de fainéantise scénaristique que ce Lodge, d’autant plus dommageable qu’il s’appuie sur le charisme de Riley Keough, de Richard Armitage et surtout d’une Alicia Silverstone transfigurée qui n’a pas cédé aux sirènes de la chirurgie.

The Lodge

The Lodge


Dans le sillage de The Lodge, un autre long-métrage se délecte d'ambiguïté et de religion : Saint Maud de l’Anglaise Rose Glass repart grand vainqueur cette année. Une jeune infirmière à domicile est dépêchée pour aider une danseuse dans ses derniers jours. Un lien empathique se développe entre la soignante et la malade, Maude se révèle obsédée par l’idée de sauver l’âme d’Amanda perdue au milieu d’artistes égocentriques. L’idée de Saint Maud est d’épouser le point de vue d’une croyante au dernier degré et la vision du monde moderne qui en résulte. A ce jeu, le film est moins binaire qu’il n’y paraît, s’autorisant à mener son héroïne plus d’une fois sur le sentier du péché. La chute et le doute se font d’ailleurs une large place chez Saint Maud, et on se doute que de renaissance intérieure il sera à un moment question. Oeuvre très courte qui paraît durer deux heures par son atonie semblable à un chemin de croix linéaire, Saint Maud se complaît longtemps dans la description, s'épargnant d’exprimer les sentiments de l’héroïne. L’absence de parti pris de l’entreprise amène son final sur les rives d'un ridicule certain.

Saint Maud

Saint Maud

 

GARE AU VIRUS
Toujours à la pointe de l’actualité, Gérardmer revisite les classiques du fantastique sous le signe du coronavirus de l’épidémie.
Dans Rabid de Sylvia et Jen Soska, une styliste timorée subit un accident de voiture qui la défigure complètement. Orientée vers une clinique qui expérimente de nouvelles cellules souches immortelles, elle retrouve son visage, en ressort transformée, développe un appétit sexuel débordant ainsi qu'une appétence certaine pour le sang. Puis des cauchemars et une épidémie rampante se propagent autour d’elle. Quelle affaire.
Remake de Rage de David Cronenberg, Rabid est un beau retour des sœurs Soska (American Mary), qui a le mérite d’être une série B stimulante et dynamique, parti pris qui le place d’entrée de jeu en marge du film remaké. Cela laisse aux réalisatrices une certaine latitude pour nous immerger dans le milieu de la mode et des apparences, cadre idéal pour traiter de l’immortalité. Le tape à l’œil global du milieu masque un pourrissement intérieur semblable au mal qui ronge l’héroïne et se propage sans crier gare. L’absence de retenue dans le traitement place parfois Rabid sous l’égide d’un Verhoeven plus que d’un Cronenberg, en dépit de scènes de transformation efficaces et parfois malsaines. Il ne faudra néanmoins pas en attendre plus qu'un bon moment au final trop Grand Guignol pour sublimer ce qui a précédé.

Rabid

Rabid


Un film de zombies à Gérardmer, quelle originalité ! Heureusement la leçon de la décennie précédente a été retenue car Blood Quantum de Jeff Barnaby est la meilleure bobine de la sélection. Son originalité - l’épidémie n’infecte que les blancs et épargne les indiens d’Amérique - n’est qu’en partie responsable de son fort capital sympathie. Ignorant les limites d’un tel concept, qui ne prend pas en compte les métissages ni les autres ethnies, le réalisateur canadien d’origine amérindienne nous invite à suivre une famille indienne dysfonctionnelle qui traverse une crise particulière avec le fils aîné, écorché vif, et leur second, bientôt daron, avec une blanche. L’origine du réalisateur et les acteurs, tous amérindiens, apportent évidemment un brin d'authenticité à cette révolte de la nature qui souhaite renverser les forces aux USA. Mais tout cela s’efface derrière l’efficacité de l’action, toute mesure gardée (et je vous vois venir), Blood Quantum est ce qui se rapprocherait le plus d’un zombie flick par John Carpenter avec les nappes musicales lancinantes, l’action musclée qui confine souvent au western et les personnages au caractère trempé et un équilibre apprécié entre le drame, l’action et l’humour. Bien que plus classique dans sa seconde partie, Blood Quantum réussit l’exploit improbable de relancer l'intérêt pour les morts-vivants.

 

Blood Quantum

Blood Quantum


 

MASTER CLASS
Quiconque a assisté à une masterclass de William Friedkin ou lu son autobiographie The Friedkin Connection connaît le talent du cinéaste pour se raconter, un talent qui confine parfois au stand up tant il est un orateur habile. Dans le documentaire Leap Of Faith: William Friedkin On The Exorcist, Alexandre O. Philippe (auteur d’un autre documentaire présenté au festival, Memory - The Origins Of Alien) a donc peu à faire, sinon s’effacer face au cinéaste qui fait la lumière sur L'Exorciste et pourquoi une histoire horrifique semble-t-il banale et très ancrée dans le fait religieux devint un succès qui traversa les époques. On s’appesantit sur les influences picturales et sonores qui ont guidé Friedkin mais le cinéaste met rapidement en avant le miracle du cinéma, des choix qui paraissaient suicidaires à l’époque mais qui font aujourd’hui parfaitement sens. Il est également question de l’ambiguïté du final, qui avait levé par l’ajout d’une scène dans l’édition spéciale de 2001, de la direction d’acteurs non professionnels ou peu connus face à des grandes figures du cinéma (Ellen Burstyn, Max von Sydow), de la construction de la voix de Regan... Loin des anecdotes de tournage et du sensationnalisme, Friedkin nous enseigne que le succès de son film est dû à sa grande cohérence et à des sacrifices nécessaires, tout en se retranchant derrière l’idée d’une destinée soutenue par quelques choix. Si on ne soupçonnait pas le fieffé Billy de bullshiter avec panache à l’occasion, on pourrait croire à de la modestie mal placée. Une chose est sûre, ce documentaire vous donnera envie de vous pencher de nouveau sur L’Exorciste et sur la carrière trop tôt abrégée de ce grand réalisateur.


PALMARÈS
Grand Prix : Saint Maud de Rose Glass

Prix du jury : Howling Village de Takashi Shimizu

Meilleure musique originale : Adam Janota Bzowski pour Saint Maud de Rose Glass

Prix de la critique : Saint Maud de Rose Glass

Prix du public : 1 BR: The Appartment de David Marmor

Prix du jury jeunes de la région Grand Est : Saint Maud de Rose Glass

Grand Prix du court-métrage : Dibbuk de Dayan D. Oualid




   

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