No Pain No Gain

Haltère égo

Affiche No Pain No GainMichael Bay ne s’épanouit que dans la surenchère de ses pires travers et la puérile culture, dont Transformers 2 en constitue le point d’orgue (avec un 3 aussi crétin mais au long climax plus lisible qu’à l’accoutumée). La réussite de No Pain No Gain n’en est que plus détonante.


Généralement, les effets secondaires du cinéma du réalisateur de Rock sont un décollement rétinien, un brouillage sensitif et des crises d’épilepsie dues à une intense exposition à un enchaînement de plans de plus en plus brefs, des explosions de toutes sortes et une vulgarité crasse. Or, avec No Pain No Gain, si on navigue toujours en terrain connu, nait un certain enthousiasme d’avoir assisté à un très bon film, voire même une certaine excitation intellectuelle face à la réflexivité dont Bay fait preuve par rapport à l’American Dream et son propre cinéma. Et sans se départir de sa subtilité caractéristique de tout envoyer valser.



Pour autant, difficile de considérer ce film comme le premier pas sur la route du changement car un Transformers 4 pointe à l’horizon 2014. Disons plutôt que le sujet, et le traitement qu’il requiert, de No Pain No Gain est en adéquation avec le cinéma hypertrophié de Bay. En l’occurrence, le metteur en scène adapte un fait divers qui a défrayé la chronique entre 1994 et 1995 en Floride et ayant donné lieu à une série d’articles contant les exactions d’un gang de culturistes qui ont enlevé et séquestré un riche client de la salle de muscu qu’ils fréquentaient afin de lui soutirer tout ce qu’il possédait (argent, maison, chien) et vivre grand train. Une comédie noire et satirique assez puissante où tout est amplifié, gonflé, les corps (des culturistes mais également des bimbos ou des femmes au foyers), le fantasme de l'American Dream poursuivi par Lugo, les évènements qui s'abattent sur la tronche de ces trois pieds-nickelés, collant parfaitement à la mise en scène outrageuse de Bay.
S’ils parviennent à leur fin pendant un temps, leur incompétence totale, pour ne pas dire leur crétinerie, engendrera des débordements sanglants. On ne s’improvise pas rançonneur et encore moins tueur, quand bien même on est motivé par la poursuite de son rêve : partir de rien et arriver à tout.

S’appuyant sur des faits réels, Bay en accentue cependant les effets, notamment dans la caractérisation de ses trois personnages principaux azimutés. C’est particulièrement éloquent avec celui interprété par Dwayne "The Rock" Johnson, Paul Doyle, un ex-taulard recherchant la rédemption dans le culte de Dieu. Un ravi de la crèche désopilant tant il est en complet décalage avec l’environnement dans lequel il évolue et les situations auxquelles il participe. Une perception biaisée qui est par ailleurs le lot commun de ces trois musclors et qu’illustre à merveille l’usage de leurs voix-off exprimant tour à tour leur inconséquence. Lugo est convaincu qu'il emploie la bonne méthode, Doyle prend ce dernier pour un génie, Doorbal n’est pas dupe de l’improvisation permanente de Lugo mais s’en fiche. Des amateurs absolus (les tentatives d'enlèvements sont hilarantes !) incapables de voir que tout part en sucette, de prendre conscience que leur entreprise est vouée à l’échec et que tout ce qu'ils accomplissent les mène un peu plus vers une fin tragique.
Les mecs sont complètement à la ramasse, incapables de se plier à la réalité, ils essaient d'y superposer leur vision et vivre dans leur rêve. Comme ils gonflent leurs muscles, ils vont faire gonfler cette vie rêvée jusqu'à ce que celle-ci leur explose à la gueule. Un aveuglement quasi généralisé car leurs agissements outranciers n’attirent même pas l’attention, les autres, les gens normaux, ne décèlent aucune anomalie pourtant flagrante, qui aurait pu mettre sur le grill le Sun Gym Gang.

No Pain No Gain


Malgré tout, les trois "héros" conservaient leurs chances de s'en tirer : les flics prenant la déposition de la victime, Kershaw (Shaloub est incroyable) ont du mal à croire à cette histoire rocambolesque, n'enquêtant même pas, la femme du magasin d'outillage examinant la tronçonneuse électrique défectueuse qu'ils ont achetée n’y voit que du feu, trois bodybuilders affublés de tenues de chirurgiens ne provoquent qu’un léger étonnement, les voisins de Lugo ne s’inquiètent même pas de la disparition précipitée de Kershaw...

Et si justement, aucun autre protagoniste n’était normal ?
Globalement, ceux qui les côtoient n'y pipent que dalle tellement ils sont "rassurés" par l'image que ces trois paumés renvoient, celle de la réussite, celle de "doers", de mecs qui se donnent les moyens de leurs ambitions. Ils croient dans le fitness, ils ont passé un temps infini à prendre soin de leurs corps, à le renforcer, à souffrir sur les bancs de musculation qu’ils estiment mériter une partie de la vie que leur aisée clientèle gaspille. D'ailleurs c'est parce que le pornographe Griga envoie à la tronche de Lugo que c'est un amateur et qu'il ne travaille pas assez dur que ce dernier va péter un plomb.
Ils ne seront inquiétés qu’à partir du moment où le détective privé Ed DuBois, mandaté par Victor Kershaw laissé pour mort par le trio, s’en mêlera. S’il décide de donner suite à l’histoire incroyable de cet homme, c’est moins par motivation de rendre justice que pour s’échapper de la bulle de confort érigée par sa femme. Flic à la retraite, il vit dans une magnifique résidence en bord de mer, dans un rêve qui n’est pas le sien et saisit l’occasion de partir à la pêche au gros.
Lugo et ses acolytes se montrent tout aussi insatisfaits car malgré l’opulence dans laquelle ils s’ébattent désormais après leur forfait, ils vont pourtant tenter de réitérer leur manœuvre d’extorsion de fond sur la personne d’un riche promoteur évoluant dans le porno, Franck Griga. Certes, ils ont pour prétexte de renflouer Doyle qui a dilapidé sa part en poudre blanche mais ils ne se font pas trop priés pour retrouver l’excitation d’une opération plus ou moins bien ficelée.

No Pain No Gain


Pour raconter cette histoire déjantée, paradoxalement, Bay met la pédale douce sur les effets de montage ultra cut et autres pyrotechnies (beaucoup d’explosions, mais de couleurs), ne se laissant aller qu’à quelques ralentis bien choisis, ses habituels mouvements circulaires de caméra lorsque les persos sont immobiles et discutent (pour le coup, ici, pas d’illusion d’une agitation perpétuelle mais lors des coups de fils passés par Kershaw sur ordre de la bande pour couper les ponts avec ses proches et connaissances, cela permet de formaliser admirablement le temps écoulé, un corps obstruant l’objectif servant de volet de raccord) ou une caméra libérée de contraintes physiques passant d’une pièce à l’autre lors de la "négociation" avec Griga. Une mise en scène plus posée, voire même apaisée, qui permet de mettre en valeur le sens du cadrage du réalisateur que l’hystérie de ses précédents films masquait (et non, il ne s’agit pas de sa faculté à cadrer les actrices comme des posters de FHM). De plus, pour accroître la masse déjà impressionnante des trois culturistes, il use régulièrement de plans en contre-plongée, moins par souci d’iconisation que pour souligner la façon dont ils se voient, plus imposants et importants qu’ils ne sont.

Il inocule d’ailleurs à son métrage une bonne dose d’ironie en montrant les trois compères agir comme s’ils étaient dans un film de Michael Bay mais qui déraperait : pour éliminer Kershaw, ils l’enferment dans une voiture en flammes et commencent à quitter les lieux de leur méfait en marchant frontalement face caméra tandis qu’une explosion retentissante doit embraser l’arrière plan. Sauf que les gémissements de leur victime s’étant extirpée à temps de l’habitacle les obligent à revenir sur leurs pas pour terminer leur ouvrage.
Chantre de la vulgarité comme moyen d’expression, Bay s’en donnent ici à cœur joie, peuplant ses images de bimbos et s’appesantissant sur leurs croupes, parsemant ses décors d’objets sexuels ou multipliant les correspondances en la matière. La musculation à outrance est ainsi censée rendre leurs corps plus durs, plus puissants que jamais, leur absence de cerveau accentuant l’analogie avec des verges à visage humain.

No Pain No Gain


Ces trois hommes, véritables parangons de la débilité constitutive du cinéma de Michael Bay sont  pourtant en quête de respectabilité, même si pour y parvenir et en jouir ils emploieront des méthodes répréhensibles (kidnapping, torture, meurtre). Après s’être approprié la résidence de Kershaw, Lugo ne pense qu’à s’intégrer à sa nouvelle communauté et Doorbal lui-même acquiert une maison pour vivre avec sa dulcinée. Seul Doyle est dévoyé. Alors qu’à sa sortie de prison il se tournait exclusivement vers Dieu, il finira le nez dans la poudreuse, un autre niveau de réconfort.
Ce désir de sociabilisation se traduit pour Lugo par l’organisation d’un comité de défense du quartier et pour Doorbal s’accompagne d’un retour à des sensations pures, ressentir à nouveau le plaisir d’érections au moyen d’injections.
Ils arpentent enfin l’american way of life qui se refusait à eux mais de manière perverse. L’étincelle qui poussa le passage à l’acte de Lugo fut sa réappropriation des méthodes de motivation de Johnny Wu, représentation de ces nouveaux prédicateurs assenant à un public en perdition un état d’esprit de conquérant (l’esprit des pionniers revisité). Lugo en a nourri sa propre conception de la vie et inculque, lui, ses principes à un public encore plus réceptif, les enfants habitant son quartier. Et ce au cours d’une partie de basket-ball d’anthologie où l’adulte anabolisé n’hésite pas malmener de chétifs gamins, infligeant douleur et humiliation qu’il apaise avec ses préceptes (soit dur, pas de larmes, se relever, etc.) puis en les initiant à la psychologie et physiologie féminine. Ultime sacrilège de ce style de vie, le sacro-saint barbecue, emblème de convivialité, que Doyle pervertit absolument en grillant une viande très particulière.

Le réalisateur d'Armageddon se lance vraiment à fond dans la causticité et n’atténue jamais la satire, que le rappel en cours de métrage de l'authenticité des évènements ici relatés rend encore plus grinçante et décapante. No Pain No Gain, c'est un peu Narcisse de l'autre côté du miroir. Une image déformée (et même carrément difforme) de l'Amérique présentée comme son reflet par Bay.

No Pain No Gain


Bay s’amuse à révéler et dynamiter une réalité parasitée, gangrénée par les fantasmes de réussite de chacun - Tony Montana et Le Parrain sont les modèles de Lugo tandis que la stripteaseuse russe se réfère à Pretty Woman, cette dernière est persuadée d’avoir été recrutée par la C.I.A, dans son hors-bord Kershaw se rêve narco-trafiquant ou policier à Miami… - et dont les trois personnages improbables sont les détonateurs.

Mais le réalisateur use également d’une symbolique à sa mesure mêlant sexe, religion, vulgarité, fruits et poissons (voir à ce titre les pertinents messages de l’internaute Caïus sur le forum Tichoux). Sans les héroïser, on sent poindre une certaine affection de Bay pour ces bad boys abandonnés dans un système aux valeurs en perdition. Ils n’en sont finalement que les représentants, les rejetons les plus dégénérés. Quelque part, on peut estimer que se dessine en filigrane un portrait de Michael Bay lui-même, qui affleure plus précisément dans sa conclusion lorsque Lugo, malgré sa condamnation à mort (par corolaire, les critiques assassines pour Bay), est prêt à relever le défi et à nourrir ses rêves.
Et continuer à voir et admirer ce rêve américain briller malgré les barbelés.


7/10

PAIN AND GAIN
Réalisateur : Michael Bay
Scénario : Christopher Markus & Stephen McFeely d’après une série d’articles de Pete Collins
Producteurs : Michael Bay, Ian Bryce, Matthew Cohan, Donald De Line…
Photo : Ben Seresin
Montage : Tom Muldoon & Joel Negron
Bande originale : Steve Jablonsky
Origine : Etats-Unis
Durée : 2h09
Sortie française : 11 septembre 2013

 

 

 




   

Commentaires   

+1 #1 youli 30-09-2013 13:08
C'est vraiment un bon papier, qui analyse très bien le film. Mais par contre j'ai trouvé que toutes les intentions décrites ici tombent complètement à plat dans le film, que j'ai trouvé encore pire que les films de Bay premier degré.
Il ne fait que rappeler pendant tout le film l'ironie du film, mais il le fait avec si peu d'intelligence que j'ai eu l'impression de regarder un crétin se moquer d'autres crétins. Du coup je n'ai pas trouvé ça drôle (bon, quelques scènes quand-même), mais vraiment cynique.

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