Bronson

Ivre de violence et de peinture

Affiche Bronson

"Ce n’est pas moi qui suis enfermé avec vous, c’est vous qui êtes enfermés avec moi !"


Cette sentence, si elle fut prononcée par Rorschach dans le comic book Watchmen pourrait aussi bien illustrer le projet de mise en scène du film de Nicolas Winding Refn, faux biopic (mais vrai uppercut dans la gueule) consacré au prisonnier le plus violent du Royaume Uni.  Si dans le monument écrit par Alan Moore elle soulignait au premier degré un sentiment de danger et le caractère hyperviolent de Walter Kovacs le justicier psychopathe, pourtant emprisonné parmi les pires criminels, elle valait aussi et avant tout comme un avertissement aux lecteurs puisque l’épisode entier consistait en une exploration de sa psychée dérangée (les flashbacks dévoilant son passé étant activés par les figures du test de Rorschach que le psy du pénitencier lui présente). Une mise en abyme comparable est mise en œuvre par Refn qui préfère s’intéresser à la personnalité que Michael Peterson s’est forgée (Charles Bronson, donc) et qui sera déterminante dans son évolution vers l’artiste reconnu qu’il est désormais devenu. Ainsi, le récit sera pris en charge d’emblée par Bronson lui-même puisque c’est ce personnage qui nous accueille (nous cueille ?) sur la scène de son théâtre mental. Un lieu qui reviendra régulièrement au long du métrage et qui marque la manière dont le taulard se perçoit : il a conscience de jouer un rôle dans la plus grande pièce du monde (la plus grande farce comme dirait le Comédien…) et dont les spectateurs (de la salle de cinéma ou du théâtre) sont les témoins privilégiés.
Si Refn échaffaude son film dans un style visuel différent de sa trilogie du crime, il conserve la même approche artistique puisqu’il adaptera sa narration et son esthétique à son sujet.

ENTRE LES MURS
Si les murs retiennent les corps, ils sont incapables de museler l’esprit. Et Peterson prendra autant de soins à développer son physique que son mental, les deux étant intrinsèquement liés puisque l’un prendra le relais de l’autre en cas de déficience provoquée (l’isolement en cellule réduite, l’emprisonnement chimique après administration de drogues lors de son internement psychiatrique). Un corps qui est pour Bronson le réceptacle d’une résistance libertaire (il est réfractaire à toute forme d’autorité, qu’elle soit physique, verbale ou intellectuelle) alors que pour Bobby Sands dans Hunger il représente une résistance idéologique et politique (transmission de consignes, grève de la faim comme contestation ultime…). Mais dans les deux cas, ce corps est une émanation physique à toute forme d’asservissement. Le parallèle avec le film de Steve McQueen n’est pas qu’une question de motifs ou de thèmes similaires ou seulement validé par la préparation physique que ces rôles extrêmes ont nécessité pour leurs interprètes respectifs (perte de quinze kilos pour Michael Fassbender, prise d’un quintal de muscles pour Tom Hardy). L’un est le prolongement de l’autre comme le relève Julien Hairault dans le numéro 16 de Versus : "…le comportement provocateur et violent de Bronson apparaît comme un parfait contrepoint à la lutte réfléchie et philosophique d’un Bobby Sands… …Bronson serait ainsi le penchant fantasmé du calvaire de Hunger, par la rébellion du corps (les bastons) et de l’esprit (l’apprentissage de l’art) d’un homme au ban de la société, coincé éternellement et pour le plaisir entre quatre murs."

Bronson
 

Plus que les justifications factuelles, sociales et psychologiques ayant amené Michael Peterson derrière les barreaux et à devenir Charles Bronson, Refn s’intéresse essentiellement à la transformation de Bronson la bête de combat en Bronson l’artiste violent. La violence, il s’en nourrit et est plus qu’un moyen de se défendre ou asseoir sa notoriété, c’est son mode d’expression. Le seul qu’il ait jamais connu et qu’il maîtrise alors parfaitement. S’il fait tout pour séjourner indéfiniment en prison, c’est parce que c’est le seul lieu où il peut être lui-même. Charles Bronson est pour Peterson bien plus qu’un nom de scène donné par son manager. Ce baptême équivaut à une forme de renaissance pour cet homme complètement inadapté à une société pétrie de conventions (affairistes ou amoureuses) comme l’illustre son mutisme et sa rigidité face aux personnes qu’il rencontre durant sa brève période de liberté.

LA VIOLENCE DE L’ART
Mais ce que le film de Refn s’évertue à montrer avec brio, c’est la recherche d’un équilibre qu’il atteindra dans cette scène magnifique où il séquestre son prof d’arts plastiques et se terminant par une confrontation brutale avec les gardiens qu’il vient d’appeler une fois sa petite représentation terminée. Surtout, il apparaît complètement maître de ses émotions. Alors qu’auparavant il montrait sa rage au travers de rictus déformant son visage, désormais impassible, il n’en laisse pas moins transparaître une colère froide, le rendant encore plus terrifiant.
Influencé par la pastille figurant sur l’affiche et proclamant que le film est l’Orange Mécanique du 21ème siècle, il est facile de s’en tenir à l’analogie simpliste qu’induit le portrait d’un homme ultraviolent sur fond de musique classique et plus ardu de questionner son rapport véritable au film de Kubrick. Je ne me lancerai pas dans une étude croisée approfondie (vu mes maigres compétences en kubrickologie) mais on peut constater une construction narrative similaire (ouverture du film sur le personnage objet de l’étude, trois actes dont le dernier est une reprise pervertie du premier…) et dont le passage en liberté de Bronson en milieu de métrage coïncide avec le traitement Ludovico subit par Alex : les deux protagonistes en sortiront profondément transformés. De même, l’association de l’art avec la violence est constitutive des personnalités de Alex et Bronson quand bien même ils divergent quant à leur rapport à l’art justement. D’ailleurs, si le chef-d’œuvre de Kubrick démontait avec application les mécanismes de la violence, ce genre de réflexion est absente du film de Refn qui lui s’attache à développer les mécanismes de la création artistique.

Bronson
Ou l'art de repeindre littéralement les murs avec Valérie Damidot


Dans sa recherche de la célébrité, Bronson privilégie la manière forte avant de tendre progressivement vers une forme d’expression moins agressive mais tout aussi percutante. Cela sera accompli de manière magistrale par Refn qui associe d’emblée son personnage avec toutes formes de représentations artistiques entre la bande sonore composée de musiques classiques, ses actes de violence ritualisé dans la première partie qui font partie de son entraînement quotidien afin de modeler, de sculpter son corps athlétique, sa manière particulière de repeindre les murs avec du sang ou sa propension à se maquiller, se travestir sur la scène fantasmée comme dans le réel diégétique. On voit Bronson changer littéralement de peau avant d’affronter les gardiens qu’il aura copieusement provoqués puisqu’il se dévêtira et enduira son corps de savon ou de peinture noire. Avant de prendre conscience de cette nouvelle forme d’expression en suivant les cours d’art dispensés en prison, Refn montre que son personnage entretient depuis toujours un rapport instinctif à l’art et qu’en plus de l’apprécier (à l’instar d’Alex le mélomane), il peut et veut être capable d’en créer.

La célébrité recherchée et martelée est moins une affaire d’égo ou de renommée que le désir de cet individu d’affirmer sa singularité dans une société capable de broyer les individualités. La reconnaissance de son existence passe donc chez Bronson par une violence déployée contre ses co-détenus et les gardiens (représentation tangible d’une politique carcérale inique) qui sera canalisée à travers ses talents d’artiste.

Si le puissant Bronson se conclue sur un plan le monrant enfermé dans une cage et suivi par un carton précisant ses conditions de détention (34 années passées en prison dont 30 en isolement), il aurait très bien pu se terminer sur les derniers mots proférés par Alex à la fin de Orange Mécanique : "Je suis guéri".
8/10
BRONSON
Réalisateur : Nicolas Winding Refn
Scénario : Brock Norman Brock & Nicolas Winding Refn
Production : Jane Hooks, Rupert Preston, Daniel Hansford…
Photo : Larry Smith
Montage : Matthew Newman
Origine : Angleterre

Durée : 1h32
Sortie française : 15 juillet 2009




   

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