Les Frères Grimm

Contes et légendes achevés

Affiche Les Frères Grimm

Whilelm (Matt Damon) et Jacob (Heath Ledger) Grimm sont des professionnels. Tout le monde vous le dira. Un fantôme hante le clocher de votre église ? Une sorcière menace la tranquillité de votre village ? Un ogre rôde dans les bois tout proche ? Une seule équipe peut vous tirer d’embarras : les frères Grimm, les plus grands destructeurs de créatures maléfiques d’Europe ! Ou pas.


Car la réalité est beaucoup moins féerique que ça : les frères Grimm sont effectivement des professionnels, pour ça oui. Mais ils se situent bien davantage dans la catégorie des escrocs que dans celle des sauveurs. En effet : les monstres qu’ils détruisent ne sont que des pantins animés, via cordes et rouages, par deux hommes à leur solde. Mais lorsque Delatombe, le sinistre administrateur de cette région Allemande sous domination française, les enjoint poliment (c'est-à-dire, sous peine de mort) d’éclaircir les curieux évènements ayant lieu dans une forêt située sur le territoire dont il est responsable, tout se complique. Les monstres prennent vie.
Les sortilèges prennent corps. Et les frères Grimm prennent peur. Pas vraiment parce que ce ne sont pas eux qui tirent les ficelles.
Plutôt parce que cette fois-ci, il n’y a pas de ficelles du tout.

Les Frères Grimm

 

Il SERA UNE FOIS…
Passons rapidement sur les points faibles : le scénario un peu brouillon d'Ehren Kruger, déjà responsable de Scream 3 (beuh), de Ring 2 version américaine (argel) ou encore d'Arlington Road (pas vu). Evidemment, le fait que plusieurs personnes (dont Terry Gilliam himself) soient également passées par la case script n’est pas vraiment fait pour arranger les choses. Il y a également un rythme pas toujours très bien dosé et quelques approximations narratives inhabituelles chez Mr Gilliam. Voilà, ça, c'est fait.
Mais utilisons notre baguette magique pour effacer de notre mémoire ces quelques points négatifs.

Les frères Grimm. Un simple nom qui réveille en chacun de nous des sentiments enfouis profondément. Des images d'innocence et de nuit. Quand vos parents vous lisaient ces contes, emplis de loups sanguinaires, de forêts insondables et de légendes oubliées, trembliez-vous au fond de votre couette alors que l'orage grondait dehors ?  Regardiez-vous sous votre lit avant de vous endormir ?
On le saisit immédiatement : le film Les Frères Grimm dispose d'un potentiel inouï. Un potentiel à tous les niveaux : esthétisme, symbolisme, narration, lyrisme, rêverie, tous ces contes en regorgent. En fait, ces derniers constituent même la source vive de certains de ces concepts. Mais il y a autre chose : les studios sont pragmatiques, ils veulent le retour sur investissement. Or, dernièrement, le budget promotion des blockbusters a considérablement augmenté. Mais pour ce film, c'est autre chose... Il n'y a pas besoin de faire de la promotion. Oubliez les affiches sur les abribus, les articles de la presse ou les émissions télé expliquant une intrigue avant même de laisser au public une chance de la découvrir par lui-même. Ce coup-ci, la promotion de ce film, 99% des parents de la société occidentale s'en sont déjà chargés. Chaque soir. Quand vous étiez petit. Juste avant de vous endormir.
Les Frères Grimm...
Un simple nom ? Aucunement.
Un simple film ? La réponse à cette question passe par un autre nom : Terry Gilliam.

L'amateur de cinéma a sans doute poussé un gros ouf de soulagement en apprenant que Terry Gilliam serait le réalisateur des Frères Grimm. Et ce, pour plusieurs raisons : tout d'abord, une raison évidente : un film de Terry Gilliam, c'est toujours une bonne nouvelle. On ne parle pas de n'importe qui. Le monsieur a tout de même réalisé un des (probablement) dix meilleurs films de tous les temps : Brazil. Un film... non, LE film qui nous hurle de rester humain envers et contre tout. Le retour aux affaires de Terry Gilliam se doit donc d'être honoré comme il se doit. Deuxième raison : avec un tel réalisateur, on peut déjà se rassurer quant à la matérialisation du potentiel des Frères Grimm. Qui mieux que le réalisateur de Jabberwocky ou de Bandits Bandits pouvait s'attaquer à un tel film ? Qui mieux que Gilliam a compris ce que les contes sont, ce qu'ils nous disent et quels sont les rêves vers lesquels ils nous emmènent ? Il est d'ailleurs curieux que cela soit un américain (car Gilliam n'est pas Anglais !) qui ait aussi bien compris un esprit si européen en fin de compte. Et tout ça, sans jamais perdre une lucidité ironique mais jamais cynique... Parce qu'il suffit de repenser à quelques tentatives récentes de relecture de ces mêmes contes pour trembler à l'idée de ce qu'aurait pu donner Les Frères Grimm en de mauvaises mains (crève, Shrek, crèèèèève !).

Voilà déjà de bonnes raisons... Mais à côté de cela, il y a aussi un troisième motif de se réjouir : après l'échec de l'adaptation de Don Quichotte, et les complications somme toute brazilienne qu'il a toujours du affronter lors de ses autres projets de film (Tideland, etc.), Gilliam avait-il encore l'envie ? Avait-il encore la force ?

Les Frères Grimm
 

GILLIAM D'ENFANT
Après être tombé de cheval, Gilliam a fait la seule chose qu'un vrai cavalier doit faire : remonter le plus vite possible en selle. Mais il est normal qu'un tel cavalier ne se lance pas instantanément au galop. Il doit reprendre son assurance. C'est aussi à ça qu'a servi Les Frères Grimm. Redonner la foi à Gilliam. La foi en ses films. La foi en ses contes.
Gilliam va donc se relancer au petit trot, et cela se sent:en effet, Gilliam ne semble pas toujours maîtriser les effets spéciaux, et, "convalescent", se laisse peut-être un peu trop enfermer dans le carcan d'un film de commande. Mais rassurez-vous, le chevalier Gilliam est toujours là. On retrouvera ainsi dans Les Frères Grimm plusieurs thématiques et autres gimmicks typiquement Gilliamesques, que cela soit au niveau esthétique (l'armure étincelante des Frères Grimm rappelle violemment l'armure de lumière du héros ailé de Brazil), ou de la mise en scène (les effets de caméra suivant le petit chaperon rouge dans la forêt font immanquablement penser à l'ouverture de Jabberwocky, en mille fois moins drôlement glauque quand même... à moins que cela ne soit glauquement drôle...). Mais encore et surtout au niveau du fond lui-même, Gilliam est là et bien là.
Comme d'habitude, il charge toute lance dehors contre une autorité qu'il hait : l'administration, les militaires, les puissants, les riches, les bien-pensants, les nobles...  Tous ceux qui veulent penser à notre place, pour résumer. C'est eux, la véritable cible de Gilliam, le mal ultime, les moulins à vent. Car le vrai "méchant" de l'histoire n'est pas la reine-sorcière (la belle Monica Bellucci, parfaite pour le rôle), qui fait partie d'un monde qui a ses propres règles. Le véritable méchant, c'est le militaire français et ceux qu'il représente. Ceux qui veulent imposer non seulement leur domination physique, mais aussi mentale. Ceux qui veulent supprimer les superstitions, non pas pour libérer les gens qui croient en elles, mais bien pour empêcher cette même population de mieux se libérer à travers elles par l’imaginaire.
En voulant brûler la forêt à la fin du film, Delatombe entend détruire les racines de tout un peuple. Mais ces racines ne vont pas se laisser faire, cette âme ne va se laisser consumer. Tout comme le livre qui leur donnera l'immortalité ne brûlera pas, lui non plus. En considérant une seconde la question, le choix de la France comme patrie du "méchant" est loin d'être innocent: la révolution française, qui se déroule peu avant l'histoire du film, était censée apporter la raison aux citoyens. Mais elle ne leur apporta que la Terreur. C'est cette même "raison libératrice" qu'invective et qu'accuse Gilliam dans Les Frères Grimm.

Les Frères Grimm

 

I WANT TO BELIEVE
Cette opposition conte et superstition Vs. rationalité et matérialisme est remarquablement amenée par un Gilliam qui maîtrise le sujet à fond. En enracinant cette opposition à travers le duo de héros, Gilliam complexifie les enjeux du récit. L'ouverture fait à ce titre preuve d'une ironie dont le mordant laisse songeur : le feu va s'éteindre et pour le ranimer, le jeune Will arrache les planches d'un cheval de bois... L'innocence recyclée pour ne pas mourir de froid (besoin physique le plus basique avec manger et boire). Et arrive le jeune Jacob, qui a préféré croire en l'imaginaire plutôt qu'en la réalité pure et (surtout) dure : le coup des haricots magiques...
Et ce dualisme persistera tout au long du film, Will ne percevant les maléfices déployés devant lui par la forêt qu'à travers le prisme de sa propre perception de la réalité ("Des poulies, des rails, des treuils... Ils ont beaucoup plus de moyens que nous !") alors que Jacob comprend que cette fois, c'est dans son monde à lui qu'ils sont plongés. Cette opposition de visions de la vie trouvera un climax ahurissant de profondeur lorsque les deux frères se retrouveront engagés contre leur volonté dans un duel fratricide et mortel sous l'influence néfaste de la reine-sorcière. Et c'est alors que Will prouve son amour, sa confiance et sa foi en lâchant contre son coeur la lame tenue de la main de son frère. Il a fait son choix. Il décide de croire. Quitte à en mourir.

Gilliam ne dit rien d'autre. Gilliam ne fait rien d'autre. Il nous donne le choix lui aussi. C'est illustré à travers une des répliques d'un des assistants benêts des frères Grimm : "Et nous, qu'est-ce qu'on croit ?".  Oui, qu'est-ce qu'on croit ? Que choisit-on ?
Gilliam a pris sa décision. Et tout comme Will, il est prêt à mourir après l'avoir prise.
Mourir professionnellement, du moins. Du reste, Gilliam n'est-il pas un peu mort après l'échec de Don Quichotte ? Mais tout comme Will, tout comme la jeune Angelika (un des rares personnages féminins importants du film), Gilliam peut être ressuscité. Et c'est le baiser du public qui peut ranimer ce réalisateur.
Le plus beau de toute cette histoire, ce n'est pas le happy end (même si il est extrêmement satisfaisant et fais du bien, finalement). Le plus beau, c'est que Gilliam se rend parfaitement compte de sa situation. Et de voir le parallèle avec le dialogue final entre les deux frères Grimm :
"- Nous sommes apatrides, nous sommes recherchés comme criminels, nous n'avons plus un sou, tout ce qu'il nous reste, c'est un nom.
- Oui, mais quel nom !"

"Apatride" (Gilliam n'est plus ni américain, ni européen), "criminel" (il n'a jamais hésité à donner son opinion sur les décideurs d'Hollywood, ce qui équivaut plus ou moins à se mettre hors la loi dans un tel milieu professionnel), "sans un sou" (Gilliam se retrouve dans une situation très délicate après l'échec de Don Quichotte)... Gilliam peut toujours compter sur une chose : son nom.
Et quel nom.

Pour finir, je ne dirai qu'une chose : réjouis-toi, brave citoyen cinéphile, et loue-toi vite le DVD des Frères Grimm. Car les bons contes font les bons amis.


THE BROTHERS GRIMM
Réalisateur : Terry Gilliam
Scénario : Ehren Kruger
Production : Daniel Bobker, Bob & Harvey Weinstein…
Photo : Newton Thomas Sigel
Montage : Lesley Walker
Bande originale : Dario Marianelli
Origine : USA, GB
Durée : 1h58
Sortie française : 5 octobre 2005




   

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