La Folle Journée De Ferris Bueller [1/2]

Ferris Club

Affiche La Folle Journée De Ferris Bueller

Aujourd'hui largement reconnu comme l'un des piliers du teen movie érigé par un John Hugues au sommet de son art, La Folle Journée De Ferris Bueller a marqué son temps et influence aujourd'hui encore de nombreux auteurs. (1)


Si cette réputation n'est plus à prouver, nous allons ici tenter de découvrir pourquoi ce film a résonné et résonne toujours autant dans l'esprit du public.


"YOU KILLED THE CAR"
C'est au beau milieu des années 80 que sort Ferris Bueller, une décennie marquée aux États-Unis par la présidence de Ronald Reagan, un goût prononcé pour l'argent, le matérialisme, la réussite sociale et le tape-à-l'œil.

Or il saute aux yeux dès les premières images du film que le personnage de Ferris Bueller est un véritable monstre eighties. Il est matérialiste, s'habille de manière ostentatoire, habite une maison gigantesque et ne désire rien d'autre dans la vie que ses parents lui offrent une voiture. Mais contrairement à ses contemporains, il n'a pas l'intention d'aller à l'école étudier l'économie pour apprendre à gagner l'argent qui lui permettra de se la payer (sur l'affiche, la tagline signait le film d'un "Leisure rules"). Au contraire, il réalise le fantasme inavouable des années fric : tout obtenir sans travailler. Tant et si bien que le proviseur Ed Rooney, aussi obsédé par la répression de la délinquance que Ronald Reagan, le poursuit sans relâche pendant tout le film.

La Folle Journée De Ferris Bueller
 

Mais le personnage le plus nanti de Ferris Bueller est sans conteste le père de Cameron Frye, heureux possesseur d'une Ferrari et d'une maison encore plus énorme que celle des Bueller ; sans qu'on ne sache jamais comment il a bâti sa fortune, puisque son métier ne nous est jamais révélé. Un effet de montage au milieu du film nous donne cependant un indice : Cameron, en haut d'un immeuble, déclare : "The son of a bitch is down there somewhere". Aussitôt, nous voyons des traders à la bourse, puis Cameron qui les parodie. De toute évidence, le père de Cameron est lié au monde de l'économie.

La Folle Journée De Ferris Bueller
 

Cours d'économie, restaurant chic, piscine, bourse et quartiers financiers de Chicago : les décors s'enchaînent et les nombreuses références au monde de l'économie qui parcourent le film imposent la présence fantomatique du père de Cameron, qu'on ne voit pas du film (2) mais qui le hante à chaque instant. Comme si ce personnage n'était autre que la finance elle-même (notons qu'il est absent du film comme Ferris Bueller est absent du cours d'économie).

La Folle Journée De Ferris Bueller
 

Mais le vrai symbole représentant le père de Cameron, c'est surtout sa Ferrari. Il est répété tout au long du film que le fils rejette le mode de vie de son père, le haïssant ouvertement et le rendant responsable de tous ses problèmes. Or, Ferris Bueller fait littéralement passer à Cameron une journée dans la peau de son père : il conduit sa voiture, dîne dans le type de restaurant que son père doit certainement fréquenter, et passe la journée dans le centre financier de Chicago. Un parcours symbolique qui mènera jusqu'à l'explosion de Cameron et à la destruction de la Ferrari. Autrement dit à la destruction du père. Ainsi lorsque Ferris, contemplant ce qui reste de la voiture de luxe, déclare "You killed the car", il aurait aussi bien pu dire "You killed the father". Et en "tuant le père", il tue le monde de la finance et les années 80. Il tue un monde qui préfère le matériel à l'humain ("He loves the car, he hates the wife.", résume Cameron). Bref, après avoir copié le père, il faut le "tuer".

La Folle Journée De Ferris Bueller
 

Au début du film, Cameron a beau vivre dans le luxe, entouré de tous les biens matériels possibles et imaginables, il n'en est pas moins suicidaire et blindé de médicaments. On le découvre ainsi dans une grande chambre glaciale, l'air complètement apathique. A tous points de vue, le personnage de Cameron n'appartient pas à son époque, et représente plutôt ce qui est à venir : les années 90. C'est à dire une perte de repère et d'envie de se lever le matin, et les dommages collatéraux des sociétés capitalistes. Pendant la parade, Cameron et Sloane s'avouent mutuellement n'avoir envie de rien faire de leur vie. En début de film, Ferris se félicite de ne croire en aucune idéologie : "I'm not European, so who gives a crap if they're socialists? They could be fascist anarchists, it still wouldn't buy me a car. (...) It's not that I condone fascism, or any "ism". A person should not believe in an "ism", he should believe in himself." Des scènes qu'on croirait tout droit sorties d'un film de la génération X. S'il n'est pas exagéré de dire que Ferris Bueller prophétise la mort des années 80, on pourrait presque envisager qu'il ait anticipé une des oeuvres les plus emblématiques de la décennie suivante.


"I AM JACK'S SMIRKING REVENGE"
En 1999, sort Fight Club, adapté du roman éponyme de Chuck Palahniuk, dans lequel Tyler Durden, personnage à l'aise dans tous les domaines, beau et charismatique, entraîne le héros du film, un loser complètement perdu et semi-suicidaire, dans une aventure qui le confrontera à ses névroses les plus intimes. Tout comme Ferris Bueller, le personnage de Tyler Durden jouit du même culte auprès du public (que ce soit dans la réalité ou dans le film). Tout comme Ferris Bueller, tout le monde parle de lui en permanence, tout le monde le connaît, tout le monde l'adore, tout le monde se range derrière lui, des gens qu'il n'a jamais croisés le reconnaissent. Tout ce que ces personnages entreprennent prend des proportions gigantesques au fur et à mesure de l'avancement du film (le mouvement "Save Ferris", le "Projet chaos"...) Alors que Tyler intercale des images de son sexe ou de lui-même dans le film, comme s'il avait le pouvoir d'influer sur le montage du film dans lequel il évolue, Ferris Bueller est le seul personnage à pouvoir s'adresser au spectateur, jusqu'à l'enjoindre à sortir de la salle après le générique. Dans Ferris Bueller comme dans Fight Club, on dévoile des "recettes" subversives au spectateur, soit pour fabriquer du napalm, soit pour berner ses parents.

La Folle Journée De Ferris Bueller
 

On retrouve dans les deux films une opposition entre deux personnages, un loser et un winner qui sont, symboliquement ou pas, deux facettes de la même personne, l'une étant le modèle de l'autre. Lorsque l'un sirote un cocktail, l'autre déprime (et pour accentuer encore leur opposition, pendant leur conversation au téléphone, chacun est accompagné d'une musique différente). Cameron avouera même pendant la parade que Ferris réussit tout alors que lui rate tout.

La Folle Journée De Ferris Bueller
 

Tyler et Ferris ont une idée très précise du problème de leurs protégés, ils savent exactement ce qui ne va pas chez eux. Ils aident l'autre mais on ne sait pas trop si leurs intentions ne sont pas plutôt individualistes. Ils tentent de libérer un héros coincé dans un "monde normal" déprimant et monotone (prof ronflants, parents absents, médicaments / patrons ronflants, décors Ikéa, thérapies de groupe) en lui faisant faire des actes insensés, voire risqués (emprunter la Ferrari de son père / rouler à contresens sur l'autoroute). Bref, Tyler et Ferris les confrontent à leurs pires peurs, ils les poussent à détruire un "père" puissant, oppressant et invisible (une Ferrari / des buildings).

En se basant sur les ressemblances entre Ferris Bueller et Fight Club, certains internautes ont tenté d'élaborer des théories imaginant que le film de Hughes se passait entièrement dans la tête d'un Cameron secrètement amoureux de Sloane. Pour eux, il ne bouge donc pas de son lit du film. Une théorie certes un peu poussive, mais pourtant l'idée que Cameron s'invente un ami imaginaire qui l'emmènerait dans un monde fantasmé pour apprendre à devenir un adulte n'est pas sans évoquer un célèbre roman de la littérature anglo-saxonne.

To be continued, demain !


(1) Dans Ferris Bueller, outre une Ferrari volant sur le thème de La Guerre Des Etoiles, on peut entendre un son de jeu vidéo lorsque la fille qui joue sur une borne d'arcade crache au visage du proviseur. Plus précisément le son qui intervient lorsqu'un joueur perd une vie à Pacman. De quoi donner du grain à moudre à ceux qui voient déjà dans Scott Pilgrim le Ferris Bueller de sa génération.

(2) Le père de Cameron Frye apparaît pourtant dans les premières versions du scénario.


FERRIS BUELLER'S DAY OFF
Réalisateur : John Hughes
Scénario : John Hughes
Production : John Hughes, Tom Jacobson
Photo : Tak Fujimoto
Montage : Paul Hirsch
Bande originale : Arthur Baker, Ira Newborn, John Robie
Origine : USA
Durée : 1H43
Sortie française : 17 décembre 1986




   

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