Les archives McTiernan - Piège De Cristal

Le rideau explosé

Affiche Piège De Cristal

Avec la sortie du Blu-ray du Treizième Guerrier par Metropolitan, John McTiernan, même éloigné des plateaux, fait toujours l’actualité. L’occasion de se replonger avec délices dans les archives et en tirer quelques extraits singuliers permettant de revisiter quelques uns de ses chefs-d’œuvre impérissables. Aujourd’hui, place à Piège De Cristal.


Sans vouloir prétendre à une exhaustivité ou précision comparable au remarquable travail éditorial pratiqué sur les bonus du chef-d’œuvre maudit de McT, en compilant des passages d’anciennes interviews accordées à divers magazines, on peut tout de même parvenir à exhaler quelques saveurs. Pas vraiment un making of écrit mais considérons cela plutôt comme un album de souvenirs contenant quelques pépites oubliées qui permettrait d’éclairer le travail de cet artiste indispensable.

Une version améliorée et plus étoffée de ce que nous avions précédemment exhumé.

Débutons par les propos recueillis par Christophe Gans et Catherine Esway pour le n°64 de Starfix (septembre 1988) à l’occasion de la sortie du film qui allait redéfinir le paysage complet de l’action à l’écran.
Ainsi, à propos de la rapidité du tournage dont la préproduction était réduite :
"Cinq semaines ! En tout et pour tout. Oui, je sais, c’est ridiculement restreint pour un film de ce prix, mais nous écrivions, préparions et tournions en même temps. Les scènes ont été filmées dans le désordre, nous les mettions en boîte dès qu’elles étaient sur le papier, voilà tout. Vous imaginez le gymkhana. Ce building contigu aux studios nous a rendus un sacré service, les horaires étaient impossibles à prévoir et, avec le producteur Joel Silver, nous décidions la nuit même ce qui serait tourné le matin…"

Piège De Cristal
 

L’immeuble qui a servi au tournage était celui de la propre boîte de production du film, le siège de la Twentieth Century Fox. Le faire exploser est rétrospectivement une perspective jouissive désormais pour McTiernan connaissant ses problèmes avec le système (des studios ou judiciaire) mais à l’époque, il ne prêtait pas attention à ce genre de délire :
"Disons que ma préoccupation majeure à ce moment-là était la sécurité sur mon plateau, mais je conçois que la destruction d’une tour de verre est un rêve de môme…
Nous avions très peu de temps pour préparer Piège De Cristal et dans la mesure du possible nous souhaitions utiliser un immeuble assez proche des studios. Il se trouvait qu’il y avait ce gratte-ciel tout neuf, aux lignes architecturales très belles. L’impression d’arrogance qui s’en dégage a sans doute pris le pas sur la commodité.
"

Un bâtiment encore en travaux et très pratique pour atteindre un certain degré de réalisme pyrotechnique que n’aurait pas renié Michael Bay :
"…nous pouvions travailler à notre aise, les plateaux étaient directement installés dans les étages encore vides. Lorsque Bruce Willis balance une charge de plastique dans le puits d’ascenseur, l’explosion n’est pas simulée. Nous pouvions nous permettre cette fantaisie, il n’y avait que du béton à ce niveau là."

"Les gerbes de feu au sommet du building étaient elles aussi grandeur nature. Le résultat est spectaculaire mais la fabrication est relativement simple, presque un secret de polichinelle. Nous utilisions d’énormes soucoupes de métal remplies d’essence, ce qui dirigeait le souffle du feu vers l’extérieur ou vers le haut sans abîmer quoi que se soit alentour.
Vous vous souvenez sans doute de cette prise du building assez longue et filmée de très loin ? Nous avions installé une caméra à huit kilomètres environ, sur l’une des collines qui surplombe l’aéroport, pas très loin du Santa Monica Freeway. Beaucoup de gens circulaient sur l’autoroute à ce moment-là et ont pensé qu’il y avait effectivement le feu. Ils ont tous afflué, suivis de près par des équipes de télé…
"

"Je vous ai dit que les conditions de sécurité me préoccupaient plus que tout le reste. Et encore, l’explosion du building n’était pas grand-chose en comparaison des séquences avec les hélicos. Là, j’étais vraiment mort de trouille. Nous avions lancé trois appareils entre les immeubles du centre d’affaires de Century City, à peu près au niveau du quatrième étage. A deux cent mètres à la ronde, nous avions tout évacué. Les gens qui étaient là étaient soit cascadeurs, soit flics."

Quant à l’idée géniale, dramatiquement parlant, d’un John McClane terminant le film les pieds ensanglantés, elle a été plus ou moins improvisée sur le tournage :
"A l’origine, Bruce Willis se blessait la plante des pieds accidentellement. Quand, au tournage, nous sommes arrivés à cette scène, nous avons compris la véritable portée de cette idée, tout ce qu’elle pouvait ajouter à la vulnérabilité du héros d’une part, et de l’autre, au sens stratégique du leader terroriste. Voilà pourquoi nous avons réécrit la scène et que le vilain tente d’abattre Willis en brisant du verre partout."

Piège De Cristal
 

Si Die Hard a redéfini les codes du film d’action, ce n’était pas une volonté consciente et affichée de son auteur. Ainsi, dans le long entretien accordé aux Cahiers Du Cinéma n° 577 – Mars 2003, il précise que : "La seule chose que je savais, c’est que je voulais y introduire une caméra expressive, qui devienne un narrateur, une voix active, presque un commentaire de l’action en train de se faire. J’avais beaucoup admiré ça dans de nombreux films européens chez Bertolucci par exemple.
Personne ne m’a proposé de faire un film européen, ils m’ont proposé un film d’action. Avant, je n’avais trouvé à faire que de rébarbatives publicité pour des banques. J’arrivai quand même à y intégrer les plans de dolly les plus élaborés, je montais douze plans en trente secondes… ça n’a sans doute pas aidé à vendre les plans d’épargne, mais c’était de petits films intéressants à concevoir.
"
Hum, une pub pour le Crédit Lyonnais par McT, ça laisse rêveur…

Piège De Cristal
 

Avec Piège De Cristal, McTiernan voulait s’amuser avec la technique afin de transcender un scénario somme toute assez classique. Mais ce qu’il avait en tête en mettant ses plans en boîte est plutôt étonnant comme il le révèle à Paul Grave du Cinéphage pour une interview dans le n°21 de juillet/août 1995, au moment de la promo de Die Hard With A Vengeance :
"L’idée du premier épisode, c’est qu’il fonctionne comme une comédie de Shakespeare, avec cinq actes, un montage très formel, des travellings très étudiés."
C’est dans le n°64 de Starfix que l'on apprend de quelle pièce de Shakespeare il s’agissait précisément :
"- J’ai tourné Piège De Cristal en pensant constamment au Songe D’Une Nuit D’Été…"
"Je voulais que mon film présente un éventail social de personnages projetés dans un monde qui soudain bascule, un monde dérangé où les individualités sont mises à l’épreuve, où le clown devient prince et le prince devient clown. Un monde sans dessus/dessous qui le lendemain matin, au moment où les deux amoureux sont réunis, est devenu meilleur. Le Songe D’Une Nuit D’Été possède ce côté chaleureux. Ne voyez rien re littéraire dans cette approche, j’ai simplement laissé cette mélodie shakespearienne résonner dans un coin de ma tête. Juste un fredonnement."

Comme il le dit plus loin dans cette même interview, "Il y a peut être vingt secondes dans Piège De Cristal où je suis parvenu à une image qui ait l’intensité du rêve".
Cette volonté d’instaurer une dimension onirique infuse tous ces films et dans Die Hard, elle découle en partie du fait que l’action soit concentrée la nuit précédant Noël :
"Dans le script original, l’action se déroulait sur trois nuits et trois jours. Ramener le récit à une seule nuit l’a rendu plus drôle, plus fantaisiste. Le script de départ était très sérieux. L’intrigue était… (il murmure en se cachant la bouche derrière sa main) stupide ! Mais alors, vraiment ! Les terroristes qui attaquent le building étaient d’affreux personnages, convaincus de leur propre cruauté. J’ai imaginé ce vol hautement improbable pour faire obliquer le fait divers vers la féérie."

D’ailleurs, il semble qu’un des personnages du film a conscience de la volonté de son réalisateur. Théo, le black chargé de percer les sécurités du coffre du Nakatomi Plaza ne commente t-il pas la neutralisation de l’assaut de la tour par les forces de police à la manière d’un conte ?
Comme quoi, la fibre pirandellienne de McTiernan était déjà à l’œuvre bien avant Basic…




   

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