Solitaire

La croisière ne s'amuse plus

Affiche Solitaire

Avec Solitaire, Greg Mclean confirme tout le bien que l’on pensait de lui. Ainsi que sa propension à effrayer les touristes potentiels !


Pour les fans de films de monstres et plus particulièrement d’animaux mutants et/ou super féroces et carnassiers (je sais, pas facile à assumer !), on ne peut pas dire que les réussites du genre pullulent. Et si on est vraiment fan et pas trop regardant sur la qualité, il y a toujours les productions Nu Image et sa série dite "des agressions animales" (Octopus, Spiders, Shark Attack ou Crocodile). Il apparaît de prime abord étonnant que Mclean investisse ce genre si particulier, qui plus est en tournant un film de croco géant. Pas le genre d’animal ayant enflammée notre imagination par le passé. Si Lake Placid joue à fond, et plutôt bien d’ailleurs, la fibre comique, nous avons quand même eu droit en 2007 au direct to dvd (souvent synonyme de direct to the poubelle) Primeval, qui oeuvra lui dans la fibre comique involontaire (rien que le nom du croco est à se pisser dessus : Gustave !) et plus récemment à l’australien Back Water. Tiens, tiens... Et ce n’est pas la seule similitude puisque Solitaire et ce dernier partagent également le même canevas de base, soit des touristes en goguette qui se perdent sur le territoire d’un crocodile méchamment affamé. La ressemblance s’arrêtant là, car Solitaire est d’une tout autre tenue que le sympatique, sans plus, Black Water (idéal pour une soirée d’été entre potes avec quelques bières et Marie-Jane…).


LE RÉALISATEUR NE RENONCE JAMAIS
Certes, Mclean a bénéficié d’un budget conséquent (pour une série B horrifique s’entend - faut toujours relativiser) pour son deuxième film grâce au succès mérité de Wolf Creek, mais il portait ce projet depuis plus d’une dizaine d’année. Et si son survival terrestre fut un choix par défaut il lui permit d’affiner de belle manière sa réalisation autour d’un casting réduit, d’un scénario famélique et des paysages à couper le souffle. On peut même avancer que Wolf Creek était un galop d’essai à son Solitaire, les deux films ayant la même structure narrative. Mieux, ils illustrent à merveille la profession de foi du réalisateur : "Un récit à l'épine dorsale solide, peu de personnages, un lieu isolé et un monstre unique et inoubliable."
D’accord, Solitaire n’est pas aussi réflexif et subversif que le formidable The Host de Bong Joon-ho, aussi politique et poétique que le Godzilla d’Hinoshiro Honda ou aussi cathartique que Jaws (de qui vous savez). Mais Mclean n’a jamais prétendu vouloir révolutionner le genre ou se mesurer à ces glorieux aînés. Et pourtant, avec la seule envie de proposer un spectacle intègre et de foutre mal à l’aise ses spectateurs durant une heure trente, Solitaire peut se targuer d’être une belle réussite du genre. Ce qui, en ces temps actuels où les réalisateurs d’horreur ont tendance à péter plus haut que leur cul (qui a dit Romero ?), est déjà pas si mal. Surtout, Solitaire, par la seule grâce de la réalisation de Greg Mclean, se hisse au niveau de ses illustres prédécesseurs Et ça, ça fait vraiment plaisir à voir.


LES QUALITÉS DE SES (SOI-DISANT) DÉFAUTS
Tout comme son premier long, la photo de Solitaire (toujours de Will Gibson) est superbe, il n’y a pas d’autres mots : jouant avec les nuances de vert qui jalonneront toute l’ambiance chromatique du film, magnifiant les paysages traversés, bref du très beau boulot. Mais apparemment, le film est loin de faire l’unanimité.
Et oui, car à lire certaines critiques éparses, Solitaire est au mieux une série B efficace tendant malgré tout vers le Z, au pire une redite en beaucoup moins bien de Wolf Creek, qui n'était déjà pas folichon. Ce qu’on lui reproche essentiellement, c’est son scénario tenant sur une carte postale du bush australien, ses personnages archétypaux peu travaillés, sa réalisation conventionnelle et trop classique. Autrement dit, ça manque de sang, de mouvements de caméra de folie et de caméra embarquée. Des raisons insuffisantes pour bouder son plaisir et passer à côté de ce film. De toutes manières, les films d’horreur ne brillent généralement pas par leur complexité scénaristique. Par contre, cela permet d’affiner et de travailler la trame narrative. Ce que ne se prive pas de faire Mclean. Tout comme Wolf Creek, le début du film s’appesantit sur les paysages, imprimant ainsi durablement à notre esprit cet espace vert et marécageux infini, les personnages étant d’emblée avalés par la jungle avant de se faire bouffer par le crocodile.

Solitaire
 

Une croisière qui, en plus de planter le décor, permet de présenter succinctement, par des gestes, des paroles, des attitudes, chaque protagoniste. Des personnages certes archétypaux mais plus crédibles que la moyenne. Comme pour Wolf Creek, Solitaire s’appuie sur des faits réels que le réalisateur remanie. Et tandis que le premier annonçait une menace vague par le biais d’un carton énonçant les nombreuses disparitions de personnes sur le territoire australien, ici la physionomie du crocodile demeure indéterminée mais les conséquences sont illustrées par des photographies et des articles de presse punaisés au mur d’un bouge malfamé, sorte de hall of fame de l’horreur. Créant d’emblée une ambiance pesante que le métrage va s’ingénier à rendre de plus en plus anxiogène. L’habileté de Mclean étant de nous montrer la créature le moins possible, du moins de manière morcelée. Soit un traitement qui renvoie à Alien de Rydley Scott et bien évidemment aux Dents De La Mer. En montrer le moins possible rend les attaques du saurien encore plus percutantes. Un choix particulièrement osé dans une industrie dominée par la volonté de tout montrer à l’écran. Quand bien même les effets animatroniques et digitaux ont permis de modeler un crocodile aussi "beau" que crédible, le cinéaste préfère lui conférer une nature elliptique, plus à même d’emballer le palpitant.
La tension grimpe d’autant plus vite que les personnages piégés commencent à s’entredéchirer et que dans le même temps, l’un d’eux se fait happer à l'insu de tous. Et c’est là tout le génie de Mclean d’avoir fait de sa créature un prédateur aux actions furtives et implacables plutôt qu’un bête monstre aux attaques démonstratives et explosives. Impossible de deviner d’où viendra le prochain assaut, d’autant plus dans des eaux saumâtres et en pleine nuit, obligeant le spectateur à être aussi attentif que les personnages au moindre bruit ou à la moindre ombre suspecte. Un choix plutôt courageux dans une indsutrie toujours prompte à en montrer le plus possible et sous tous les angles, et qui s'avère extrêmement pertinent puisqu'en différant le moment de l'attaque, Mclean crée une latence délétère apte à favoriser la panique.

Solitaire
 

On reproche à Wolf Creek et Solitaire leur manque de rythme, ce que certains taxent péjorativement de réalisation old school ou classique. Au contraire, c’est même plutôt réjouissant de constater que le réalisateur persiste et utilise le premier acte pour présenter enjeux et personnages, prend soin de ses plans, fait en sorte que leur enchaînement soit cohérent. Un traitement formel que l’on retrouve dans l’autre grand film de monstre de cette année, The Mist.
Enfin, avec Solitaire Mclean affiche une maîtrise formelle et narrative remarquables, faisant culminer la tension à mesure que l’espace vital des personnages se réduit, se refermant peu à peu sur eux tel des mâchoires, liant un peu plus, et par l’image, le crocodile à son milieu. Et au final, ce survival, où les protagonistes tentent de conserver leur intégrité physique tout en s’échappant du territoire du saurien, se mue en une lutte d’homme à crocodile, de primitif à primitif, lors de l’ultime confrontation. Une régression nécessaire à la survie du journaliste et qui n'est pas sans rappeler la même "transformation" subie par Dutch avant d'affronter le Prédator... Une séquence à la tension extrême et où, pour la première fois, le crocodile apparaît dans toute sa splendeur dévastatrice.

Solitaire
 

Si Greg Mclean n'est pas très apprécié de l’office de tourisme australien ou des tour operator vu la manière dont ses deux films nous présentent divers aspects du pays, il devrait par contre être aimé par les fans de films d’horreur et plus généralement par les cinéphiles car Solitaire s’avère être à la fois un fantastique film de monstre et une série B ultra efficace superbement filmé. De quoi mettre tout le monde d’accord, non ?

PS : A l'instar de The Mist, qui lui aussi ose une réalisation pondérée au service de sa narration, Solitaire est distribué sur 40 écrans. Bon courage à ceux qui voudraient le voir en salles !

8/10
ROGUE

Réalisateur : Greg Mclean
Scénario : Greg Mclean
Production : Matt Hearn, Greg Mc Lean, Bob et Harvey Weinstein
Photo : Will Gibson
Montage : Jason Ballantine

Origine : Australie
Durée : 1h32
Sortie française : 13 août 2008




   

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