Moi, Moche Et Méchant

Le vilain

Affiche Moi, Moche Et Méchant

"Plus le méchant est réussi, plus le film est réussi." Le problème avec ce film d'animation centré sur une figure du mal, c'est que l'on est plus proche de René la taupe que de Hitchcock !


Car à l’instar des Minions, les sbires en forme de gélules jaunes servant avec enthousiasme le grand méchant Gru, tout est si mignon, mignon, mignon, mignon…

Pourtant, l'intention de faire du bad guy le héros d'un métrage destiné essentiellement à un public familial était plutôt intrigante. Malheureusement, si Gru (doublé par l'excellent Steve Carell dans la VO et par l'insipide Gad Elmaleh dans la VF) multiplie les signes extérieurs de méchanceté - il vit dans un manoir d'allure gothique, est vêtu de noir, est assisté d'un savant fou et sourdingue, une créature étrange au poil ras lui sert de chien, son mobilier est fabriqué après équarrissage d'espèces animales protégées, il circule dans un énorme véhicule à mi-chemin entre l'avion à réaction et le hummer, bref une manière de vivre pas franchement éco-responsable – son comportement est plus facétieux que véritablement maléfique. En effet, ses méfaits se résument à crever le ballon en forme d'animal d'un petit garçon, il utilise son pisto-gel pour pétrifier dans la glace les clients d'un fast-food afin de leur passer devant et ses plus retentissants exploits se résument aux vols des répliques de la statue de la liberté et de la Tour Eiffel sises à Las Vegas !

C'est donc cet être odieusement médiocre dans le crime qui est censé être le méchant ultime ?! Rien d'étonnant à ce que le new kid on the block du nom de Vector supplante aisément ce looser patenté en subtilisant la pyramide de Khéops. Un conflit générationnel guère intéressant et stimulant puisque leur opposition se limite à des différences de style vestimentaire (geek en combi orange fluo versus croque-mort aux épaules de déménageur) et de moyens d'action (technologie high-tech contre gadgets rudimentaires). Deux vilains de pacotille et sans envergure qui rivalisent plus volontiers dans l'élaboration d'armes aussi délirantes que débiles (le pistolet crachant des piranhas ou des calamars pour le plus jeune, des robots dansant le boogie pour l'autre).

 Moi, Moche Et Méchant
En avoir. Ou pas.


Même si au vu des design des personnages, il ne fallait pas attendre du film coréalisé par Pierre Coffin et Chris Renaud un spectacle outrageusement subversif, conter les aventures d’un super bad guy, fier de sa méchanceté et surtout clé de voûte de l'identification des spectateurs, était plutôt osé et laissait augurer une ambition et une volonté iconoclaste proprement réjouissantes et apparemment capables de séduire les foules au vu des résultats du box-office outre-atlantique ou hexagonal.


Les recettes engrangées par Moi, Moche Et Méchant semblaient même, de prime abord, montrer une évolution appréciable des sensibilités vers des produits moins conformistes qu'à l'accoutumée. On y a même cru un court instant lorsque Gru se décide enfin à tenter d’assumer un statut bien trop lourd à porter (malgré ses larges épaules) en manipulant un innocent trio de petites filles orphelines et vendeuses de cookies afin de pénétrer l’antre de Vector pour lui voler un pistolet réducteur et s’emparer de la lune. Bien entendu, cette rencontre, que dis-je ce choc des cultures va profondément transformer notre grand tout mou en encore plus mou, pardon (décidemment, je suis trop méchant), l’ouvrir à une sensibilité jusqu’ici refoulée. Bref, il va peu à peu devenir un super papa de substitution. Pourquoi pas, seulement la métamorphose n’a aucun impact majeur sur un personnage déjà pas bien mauvais et aussi contrasté.

A contrario, les personnages les plus intéressants, soit les véritables méchants de l’histoire, sont les figures parentales contrôlant la vie de nos héros : le directeur général de la banque du mal est le père détestable de Vector, la responsable de l’orphelinat où séjourne les fillettes est une mère supérieure n’hésitant pas à enfermer les pensionnaires récalcitrants dans des cartons baptisés chambres de la honte et enfin, la mère de ce pauvre Gru, acariâtre et misanthrope au possible qui depuis son enfance se montre indifférente à ses désirs ou son amour et ne rate jamais une occasion de l’humilier. Alors que le jeune Gru affublé d’un magnifique scaphandre de cosmonaute en carton exprime sa volonté d’imiter Neil Armstrong et marcher lui aussi sur la lune, sa mère lui rétorque sèchement et sans broncher que cela fait longtemps que la NASA n’envoie plus de singes dans l’espace.


 Moi, Moche Et Méchant
 

Que reste-t-il alors qui puisse sauver le film du naufrage ? Les gags ? Ah ben parlons en de ceux là ! Si le charabia, l’agressivité naturelle et la lapins-crétins attitude des Minions prêtent à sourire, on se lasse vite au bout de cinq minutes. D’autant que leur temps de présence à l’écran est plutôt conséquent. Seulement, c’est bien gentil de les voir se photocopier les fesses, s’esclaffer au bruit de pet produit par la fontaine d’eau ou expérimenter une potion annulant l’effet de la gravité mais cela n’apporte strictement rien à l’histoire. Le pire étant leur visite du supermarché à la recherche d’un doudou de remplacement pour la plus jeune des filles recueillies par Gru qui bien entendu est prétexte à des catastrophes incroyablement lolesques. Ah non, en fait c’est la chute finale qui valait le coup puisqu’au lieu d’un doudou en bonne et due peluche, ils remettent à Agnès un joli balai à chiottes orné d’yeux et d’un chapeau. Failli me pisser dessus de rire.

Je dois être trop cynique car apparemment la plupart de la presse a adoré. Le film dans son ensemble, hein, pas seulement le coup de la brosse.
Mais le mieux est encore de demander à l’un des réalisateurs, le Français Pierre Coffin qui dans une interview pour TF1 News (ne me demandez pas comment j’en suis arrivé là) répondait à cette pertinente question :

TF1 News : Etes-vous satisfait de votre "bébé"?

P.C.
: J'ai l'impression que nous avons réussi à faire du premier degré pour les enfants et du second degré pour les adultes. Pour avoir vu le film avec un public d'enfants et d'adultes, j'ai vu qu'ils riaient à des moments différents. Cela fonctionne bien car chacun y trouve son compte.

Ce qui, avec les recettes engrangées, semble suffire à Ouest France pour déclarer que "C'est le succès surprise de l'été au box-office hollywoodien. Deux inconnus, le Français Pierre Coffin et l'Américain Chris Renaud ont marché sur les plates-bandes animées de Shrek 4 et de Toy Story 3 pour faire bonnes recettes dans les salles."

Apparemment, ils n’ont rien pigé à ce qui fait la force du studio à la lampe et de Toy Story 3 en particulier. Tandis que Moi, Moche Et Méchant s’évertue à compartimenter les plaisirs pour séduire le plus large public possible mais séparément, Pixar parvient à fédérer toutes les générations autour d’émotions comparables bien que la signification et l’intensité de certaines séquences diffère selon la tranche d'âge et les références afférentes.
Nouveau venu sur la scène de l'animation, le studio Illumination Entertainment donne l'illusion avec le score faramineux de Moi, Moche Et Méchant d’empiéter sur le pré carré de Pixar alors qu'il ne fait que suivre le sillon creusé par les lénifiants opus de  L'Age De Glace.

 Moi, Moche Et Méchant
 

Bon d’accord, histoire pas passionnante, personnages peu fouillés, gags moisis du bulbe… mais oh, cédelatroidé ! C’est bien ça la 3D, non ? Oui, c’est un procédé pertinent et novateur lorsqu’il est utilisé à des fins narratives ou purement scénographiques (ai-je besoin de donner un exemple ? Un autre peut être ?). Sauf qu'ici, même si la 3D n’a pas été rajoutée en post-production, son intérêt se limite aux sempiternels effets de projections, requin surgissant de l’eau ou nez du véhicule de Gru s’approchant dangereusement. Les fans de la pub Haribo seront aux anges. C’est clair que c’est plus spectaculaire que la 3D de Toy Story 3 qui ne servait pas à grand-chose (si, si, je l’ai entendu de mes yeux vus !). Oui, sauf qu’elle était parfaitement adaptée pour jouer sur les échelles de plan entre le monde gigantesque de la crèche et nos si frêles jouets.

L’intérêt pour une utilisation efficiente de la 3D est d’ailleurs parfaitement illustré lors de la séquence post-générique où nos Minions se livrent à un intéressant concours. En effet, ils bataillent pour déterminer qui ira le plus loin du bord, donnant lieu à un bras, une échelle puis une canne à pêche venant "frôler" le nez de spectateurs médusés devant un tel déploiement d’intelligence et de fibre artistique.


Mais non, vous n’y êtes pas : pour saisir le véritable intérêt de ce film, vous n’avez qu’à ouvrir n’importe quel magazine de cinéma ; c’est que Chris Meledandri superviseur de L'Âge De Glace 1 et 2 (c’est pas rien quand même) a fait appel au studio français de productions d'images digitales Mac Guff (Splice, Une Affaire D'Etat, les films de Jan Kounen...). Un studio français, nom d’un chien !
Le Figaro en craque sa petite culotte
: "La principale originalité de ce film américain signé Universal est qu'il a été réalisé en majeure partie au studio Mac Guff dans le XVe arrondissement de Paris. L'équipe française a décroché la Lune, cocorico !"

Télérama se lâche également
: "Une réussite à mettre au crédit de la main-d'oeuvre française, experte en la matière. Moi, moche et méchant a, en effet, été coréalisé par le Français Pierre Coffin, formé à l'école des Gobelins, et l'animation a été confiée au studio parisien Mac Guff."

Et même dans les grandes largeurs puisqu’ils osent : "
On n'avait pas vu de méchant (numérique) aussi réussi depuis l'odieux Anton Ego, le critique gastronomique sadique de Ratatouille, qui devenait, lui aussi, doux comme un agneau après avoir goûté le plat préparé par le rat cuisinier."

Hum, mettons cet enthousiasme délirant sur le compte de l’influence du nouveau Aurélien Ferenzci passé depuis peu du côté obscur de la geek-force.

En tous cas, grâce à ce film et le site Première je sais désormais comment ne pas rater un interview de Gad Elmaleh. Et ça, quand on veut survivre dans le milieu hostile de la cinéphilie, ça n’a pas de prix.

Mais vous allez voir qu’on va encore reprocher au site de ne pas aimer le cinéma et d’être gratuitement méchant.

3/10
DEPISCABLE ME
Réalisateur : Chris Renaud & Pierre Coffin
Scénario : Ken Daurio, Sergio Pablos, Cinco Paul
Producteurs : John Cohen, Janet Healy, Chris Meledandri, Nina Rappaport, Robert Taylor
Direction Artistique : Eric Guillon
Montage : Gregory Perler & Pam Ziengenhagen
Bande originale : Heitor Pereira & Pharrell Williams
Origine : USA
Durée : 1h35
Sortie française : 06 octobre 2010




   

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