Panic Sur Florida Beach

Le paradis de Dante

Affiche Panic Sur Florida Beach

Au début de ce mois de juin, Carlotta nous a gratifié d’une superbe édition DVD / Bluray du Panic Sur Florida Beach de Joe Dante, première édition française sur chacun de ces supports. Un événement dantesque qui mérite qu’on s’attarde sur les souvenirs d’un nostalgique des séances de l'après-midi.


Octobre 1962. J.F.K annonce en direct la présence de missiles soviétiques à Cuba, lançant le point de départ d’une angoisse nationale sans précédent et la concrétisation de toutes les craintes larvées envers l’ennemi communiste. C’est aussi le point de départ d’une attente fébrile pour le jeune Gene Loomis, fils de militaire qui vit à Key West, à 150 km de l’île où son père a été envoyé. L’attente de la venue dans sa petite ville de Lawrence Woolsey, producteur de séries B horrifiques qui présente son nouveau film Mant en AtomoVision et en RumbleRama. Durant ces jours troubles, le jeune garçon solitaire fera la connaissance de Stan, son nouveau meilleur pote et rencontrera une jeune fille de son âge à qui des parents militants ont inculqué des idées à contre-courant. Le contexte est posé, il ne manque plus que le maître de cérémonie et son arme fatale pour marquer à jamais la vie de notre jeune cinéphile et de ses amis.


APOCALYPSE NOW
"
Today, there is no safe place to be." ("Aujourd’hui, plus aucun lieu n’est sûr.")

Ce qui est un point d’Histoire, ou le contexte du dernier X-Men, fut réel il n’y a pas si longtemps, et le premier mérite du film de Joe Dante est de nous immerger dans cette époque comme si on y était. Rien d’étonnant car la crise des missiles, il l’a vécue au même âge que le héros alors qu’il vivait dans le New Jersey. Panic Sur Florida Beach témoigne de l’intérieur du sentiment qui étreignait les américains alors qu’ils pensaient leurs dernières heures arrivées. La génération qui avait treize ans en 1962 croyait en la fin du monde. Même dans une super puissance qui n’avait pas connu les grandes guerres sur son territoire, les collégiens pensaient que les avions soviétiques pouvaient lâcher des bombes sur leur école à tout moment. Ils étaient à ce titre bien aidés par la paranoïa des adultes. Joe Dante décrit les alertes et exercices dans les écoles, les Bulletins d’interruptions intempestives d’émissions télé qui semblaient annoncer le pire, les militaires sur la plage, la panique dans les magasins pour remplir les abris antiatomiques construits par dizaines.
Une ambiance surréaliste et exaltante pour les adolescents de l’âge de Gene, qui se retrouvaient aux frontières de l’horreur dans leur vie de tout les jours. Panic Sur Florida Beach explore d’ailleurs cette autre forme d’inconnu qu’est l’adolescence en exposant Gene à de nouveaux camarades, un meilleur ami, une jeune fille de famille libérale dont il tombe amoureux et toutes les histoires qu’on rencontre dans un teen movie. La description des années 60 est douce, à quelques pas des vignettes des années 50, mais c’est le même Joe Dante qui a transformé une petite ville proprette en terrain de jeu des affreux Gremlins. On ne peut donc qu’attendre l’élément déclencheur qui va bousculer tout ce jeune monde sous pression. On se plait quand même à suivre durant cette première partie une galerie de personnage tantôt classiques, tantôt grotesques (le bad guy qui récite de la poésie, le propriétaire du cinéma interprété par Robert Picardo), mais jamais ennuyeuse. Le réalisateur sait donner un intérêt à son histoire, tout comme chacun des événements vécu sert habilement le scénario et les climax. Le fait est rare, mais Panic Sur Florida Beach est un teen movie sans gras, dans lequel chaque événement mène à l’événement principal : la réunion dans une salle de cinéma, à ce moment précis de 1962 devant le film Mant.

Panic Sur Florida Beach
 



RETRO-PROJECTION
"This story is based on scientific facts, on theories that have appeared in national magazines." ("Cette histoire est basée sur des faits scientifiques et sur des théories parues dans les magazines nationaux.")

Qu’est-ce donc que Mant, ce film qui nous raconte la terrible transformation d’un homme ordinaire en fourmi géante. De l’aveu du réalisateur, Mant est un film un peu anachronique en 1962 car il synthétise une bonne partie du charme des productions de SF des années 50. Joe Dante était fasciné par ce genre de cinéma qui à l‘époque fonctionnait d’autant plus que ses secrets n’étaient pas éventés.
Marqué par des films comme Des Monstres Attaquent La Ville ou Le Météore De La Nuit, le jeune Joe Dante faisait déjà le tour des campus au début des années 60 pour présenter The Movie Orgy, montage pittoresque et décalé de scènes de films de séries B de science-fiction des années 50. Plus tard, il intègre dans ses films des extraits de classiques horrifiques et SF qui placent ses films en continuité dans la chronologie du genre et il convoque des acteurs qui ont marqué cette époque (dont l’habitué Kevin McCarthy, héros de L’Invasion Des Profanateurs). Le fan a donc tourné avec plaisir les vingt minutes de Mant qui allaient être intégrées à Panic Sur Florida Beach. Il a aussi utilisé ses talents de monteurs (de ses premières années à New World Pictures, la boîte de production de Roger Corman) pour concocter une bande-annonce typique composée entre autres de morceaux de cinémas des années 50. Tourné en pellicule noir et blanc comme ses aînés, Mant a également fait appel à d’anciennes gloires des années 50 comme William Schallert (le docteur) et Robert Cornthwaite (l’expert de Washington) pour jouer les premiers rôles.
Plus qu'une démonstration, Mant est 
avant tout un film sur les effets du nucléaires, rejeton de nombre de films de l’époque qui traitaient de l'angoisse post-Hiroshima. Il aborde frontalement (et de manière un peu opportuniste) la peur du moment tout en brandissant un jargon scientifique évasif prompt à impressionner le spectateur. A coup de discours sur les conséquences d’une bombe en pleine crise des missiles, il accroît la paranoïa contextuelle en cristallisant la peur difficilement définissable de son public. Loin de vouloir valoriser le coté le plus cheap du cinéma de l’époque ou de rendre un pastiche vide de sens, Joe Dante a tourné un film avec le meilleur des moyens qu’il aurait eu pour une telle production en 1963, puisant dans les dialogues de films qui l’ont marqué et en confectionnant d’autres un peu plus ciselés. Création dans la création, le résultat peut ainsi être assimilé à un précurseur de la nouvelle vague Grindhouse initiée par Tarantino et Rodriguez. Son mimétisme vise essentiellement à l’intégrer dans le projet plus large de Lawrence Woolsey, et à le rendre crédible pour une audience de 1963. Le sérieux de l’interprétation renforce néanmoins avec notre recul l’esprit comique de l’entreprise, qui trahit le double sentiment avec lequel Dante envisage le cinéma SF de série B de l’époque : un gigantesque terrain de jeu qui réunit la satire de la naïveté proprette de l’American way of life (Joe Dante réalisateur) et la nostalgie du passé (Joe Dante à treize ans dans la salle). Le film parle à sa façon à son réalisateur et aux spectateurs de notre époque, mais au sein de Panic Sur Florida Beach, c’est avant tout le véhicule de l’expérience hors du commun que vivront cette poignée de spectateurs.

Panic Sur Florida Beach
 



FEAR FACTOR

"These terrible events of Mant could happen in your town, in your home, and they will happen in this theatre in Atomovision, the new motion picture miracle that puts you in the action." ("Les terribles événements de Mant pourraient avoir lieu dans votre ville, dans votre maison, et ils se dérouleront dans cette salle en Atomovision, le nouveau miracle cinématographique qui vous transporte au coeur de l’action.")

La diffusion du film au public marqué par la crise est l’occasion de créer un chaos qui brouille ses repères, et qui remet les destinées des spectateurs entre les mains du maître de cérémonie l’espace de la durée du film. Le maître de cérémonie est Lawrence Woolsey (le génial John Goodman) par qui Joe Dante rend hommage à William Castle, producteur incontournable, véritable couteau suisse de la série B horrifique du début des années 60 et réalisateur entre autres de La Nuit De Tous Les Mystères avec Vincent Price. Castle aimait se mettre en scène dans ses bandes-annonces comme le faisait Hitchcock. Il s’impliquait déraisonnablement sur les conditions de diffusion de ses films (l’interactivité des séances n’est pas une invention), concevant parfois lui-même des gadgets, tels des effets-spéciaux prévus dans le détail.
Son pendant fictionnel est aussi un roublard, usant d’acteurs faussement engagés dans des ligues puritaines pour faire la promotion de son film. Lorsqu’il explique à un gamin émerveillé l’origine des films de trouille, Woolsey se mue en magicien investi d’un sacerdoce : un homme préhistorique poursuivi par un mammouth a survécu. Galvanisé par son expérience, il rentre dans sa caverne et dessine le mammouth en exagérant ses traits pour le rendre aussi effrayant qu’il la vu. Plus de caverne, mais une salle de cinéma. Par un travelling délicat en plan subjectif, Dante nous fait glisser jusque dans les lieux d’un autre monde, celui qui permet d’exorciser ses peurs en les jouant. Plus tard, lorsqu’il expliquera au staff du cinéma qu’ils font tous partie du scénario, le cinéma apparaît comme un art qui se vit et dans lequel chaque maillon de la chaîne est au service de l’impact qu’aura le film sur le public. On conçoit que ce soit le show qui permette au producteur de tirer son épingle du jeu face à une concurrence plus friquée, mais cette scène peut paraître incroyable à l’heure où les cinémas sont cernés de distributeurs et d’automates, où un film est souvent vu comme un produit de consommation vite vu, vite oublié, entre les mains d'un exploitant qui rechigne souvent à mettre les moyens pour présenter le film dans les conditions optimum de visionnage.

Panic Sur Florida Beach
 


Panic Sur Florida Beach est comme un lieu de pèlerinage pour Joe Dante, qui se remémore ses séances double programme de l’après-midi (les Matinee, titre original du film), projections de films déjà datés réservés aux jeunes. Ainsi dans le film, ce qui se passe pendant la séance devient aussi important que ce que le film montre. Lors de la scène d’introduction de la séquence au ciné, Joe Dante place un score de film d’horreur. L’agitation grandit pendant la séance. Le procédé d’Atomovision et RumbleRama (la trouille avec les moyens du bord) fait sortir le film de l’écran. La ligne entre la réalité et la représentation s’ammenuit, rendant propice les multiples aventures du film alternatif, celui de la vie (la menace du poète, l’accident du frangin, l’épisode de l’abri). Ainsi quand l’explosion finale détruit littéralement l’écran, comme le firent les gremlins dans Gremlins 2, c’est la panique générale d’une foule qui s’ensuit, et les catastrophes s’enchaînent unes à unes.
La salle a pris le contrôle sur ces hommes et ils ont vu la mort de près. Au final, la mise en abyme est astucieuse. La crise des missiles résolue, la menace nucléaire ne sera qu’un film d’horreur de plus sponsorisé par la Guerre Froide et auquel Woosley aura fourni un final dantesque. Le cinéma a confisqué la vie de ces gens l’espace d’une séance, puis il leur a restitué. Et mine de rien, Joe Dante réussit à nous immerger dans cette aventure, à nous faire voir le cinéma comme une aventure humaine, nous qui n’avons pas connu ces années. Son film n’a en ce sens aucun pareil , si ce n’est le contemporain Ed Wood de Tim Burton, un autre nostalgique qui s’est penché avec le même soin sur le berceau de sa cinéphilie.


MATINEE

Réalisateur : Joe Dante
Scénario : Charlie Haas
Production : Michael Finnell, Pat Kehoe
Photo : John Hora
Montage : Marshall Harvey
Bande Originale : Jerry Goldsmith
Origine : Etats-Unis
Durée : 1h39
Sortie française : 28 juillet 1993




   

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