L'Emmurée Vivante

La mélodie du malheur

Affiche L'Emmurée Vivante

"Regarde au travers, mon enfant. Tu n’y arrives pas. Mais moi, je peux voir au-delà. Vais-je te dire ce que je vois ?"

L’Oncle Silas - Joseph Sheridan Le Fanu



La jeune et jolie Virginia est une femme comblée. Mariée au riche homme d’affaires Francesco Ducci, elle est bien décidée à oublier les tristes épisodes de son passé. En effet, depuis sa tendre enfance, Virginia possède, ou plutôt "subit", un don de seconde vue. Ce don lui ayant fait observer en direct le suicide de sa mère se passant à des milliers de kilomètres de distance, on comprend bien qu’une Virginia encore traumatisée considère ce talent comme une malédiction plutôt que comme un bienfait. Et malheureusement, son récent mariage ne lui apporte pas la paix à laquelle elle aspirait. Bientôt, des visions l’assaillent : un cadavre caché derrière un mur… un homme qui boîte… un corps sanglant… Elle comprendra vite que ces flashes sont autant d’indices pour résoudre un ancien crime impliquant son mari. Aidée par son ami parapsychologue Luca Fattori, elle tente de décoder ses visions et d’innocenter son époux. Mais le temps presse : le coupable n’est pas aussi loin qu’elle l’imagine…


LE MUR DES LAMENTATIONS
Regardons la réalité en face : les premières minutes de L’Emmurée Vivante relèvent du nanard de la plus belle eau. La scène du suicide de la mère de l’héroïne est à ce titre aussi exemplaire que consternante. La mère parque son auto devant une falaise. Elle s’approche du bord et saute. Et là, le spectateur se pose une question inattendue : "mais… c’est un stock shot des Monty Pythons, ça, non ?". Effectivement. Vous vous souvenez des sketches où un personnage est jeté de quelque chose d’exagérément haut et où le mannequin le représentant lors de sa chute se désarticule avant même d’avoir touché le sol ? Vous visualisez bien ? Hé bien voilà. Il ne manque plus que la musique de poursuite de Benny Hill (Yakety Sax) et l’illusion serait totale. Et ce n’est pas la localisation de la scène (la mère se suicide en Angleterre) qui vient dissiper cette première impression.
Mais ce mannequin n’est pas le seul exemple d’effets spéciaux rendant tout son sens au mot "spéciaux" (et tout bien considéré, le mot "effets" prend lui-même ici une toute autre dimension). Pendant la chute de la mère-mannequin, un plan rapproché nous fait revenir quelques secondes sur le visage de la pauvre femme raclant violemment (et avec une lenteur aussi sadique qu’improbable) les parois de la falaise, s’arrachant à cette occasion une partie non négligeable de son rimmel, son mascara et également, mais c’est accessoire, de son cuir chevelu ainsi que de son visage. L’idée n’est pas mauvaise et, au fond, son aspect totalement gratuit est tout à fait typique de Fulci (autre exemple : la fameuse scène de la perceuse dans Frayeurs). Du fan-service, en quelque sorte. Mais l’abominable qualité du "trucage" (à côté, le gars de Chapi Chapo, c’est Rob Bottin) ôte tout impact à la scène. On ne peut en admirer que davantage la réaction de la jeune héroïne, témoin à distance du suicide de sa mère : même devant une scène aussi nulle, elle ne se cache pas les yeux. Et elle a bien raison : cela lui permettra d’utiliser ses mains pour se boucher les oreilles et éviter d’entendre la chanson du générique de début.

A ce niveau du film, il faut l’avouer, on aurait plutôt tendance à prendre L’Emmurée Vivante à la rigolade. A croire à un énième bis italien raté. A porter sur le film un regard teinté de condescendance blasée. MONUMENTALE ERREUR.


ANOTHER BRICK IN THE WALL
"Silence et poussière… comme tout ceci est lourd à soulever. Et si je le fais, c’est par la faute d’un signe que je reçus du fond des ténèbres."

La Main De Goetz von Berlichingen - Jean Ray


En 1977, Fulci n’a pas encore réalisé ses pièces maîtresses en matière d’horreur malsaine : Frayeurs, L’Au-Delà et La Maison Près du Cimetière viendront plus tard. Mais L’Emmurée Vivante n’a pas à rougir face à ses successeurs. Que du contraire.
Prenons le casting, pour commencer. International (de l’Américain, de l’Italien, du Français… la mondialisation ne date pas d’hier) et relativement hétéroclite, il n’en demeure pas moins intéressant et réussi (voire parfois même "prestigieux"). Ainsi, on peut voir la très belle Jennifer O’Neil (Scanners de Cronenberg et bien sûr Summer of ’42) dans le rôle de l’héroïne Virginia. Habitée par son personnage, l’interprétation de cette dernière est irréprochable et apporte un plus indéniable au film ainsi qu’à l’implication du spectateur dans l’histoire. Il y a également Gabriele Ferzetti, qu’on a déjà pu voir dans le légendaire Il Etait Une Fois Dans L’Ouest (le méprisable Morton !) ou encore dans On Her Majesty’s Secret Service. Pas une fiotte, donc (bon, évidemment, depuis, on l’a aussi vu dans Une Famille Formidable sur TF1… bref…). On n’oubliera pas non plus Marc Porel dans le rôle du parapsychologue ami de l’héroïne et qui a figuré aussi bien dans Le Clan Des Siciliens (ouais, le film cité dans Astérix Aux Jeux Olympiques) que dans La Longue Nuit De L’Exorcisme (de qui, déjà ?)(nd nicco : Eric Rohmer ?). Pour clôturer en beauté cette belle liste, ajoutons Gianni Garko dans le rôle du mari de l’héroïne, personnage traînant un lourd passé derrière lui ; que cela soit dans le film (le mari est soupçonné de meurtre) ou dans sa filmographie elle-même (Apocalypse Dans L’Océan Rouge, Hercule, Don Camillo En Russie… quand même…).

L'Emmurée Vivante
 

Un autre point fort du film est sans nul doute son aspect très esthétique (on serait presque tenté de dire "esthétisant" si on était poseur… bah, on se contentera d’un "tétanisant" subtilement placé plus loin dans ce texte). Ce côté est d’ailleurs renforcé par une photo superbe et une utilisation envoûtante des couleurs tout comme des clairs-obscurs. Mais tout cela n’est pas vraiment étonnant de la part de Fulci. Par contre, une agréable surprise attend le spectateur au niveau du rythme sec, soutenu, voire parfois même haletant, donné à l’histoire. Et pourtant la chose n’était pas gagnée d’avance, le manque flagrant de rythme étant un des points faibles récurrents des films de l’ami Lucio.
Un autre aspect retient l’attention : dans L’Emmurée Vivante, Fulci semble maîtriser totalement tous les tenants et aboutissants de son récit. Alors que dans des films comme Frayeurs ou surtout L’Au-Delà, il sacrifiera souvent la cohérence de son histoire au profit d’une accumulation de scènes chocs sans réel lien narratif entre elles, dans L’Emmurée Vivante, Fulci ne perd jamais de vue le final qu’il a en tête. Bref, le côté "poésie du macabre" si typique du réal est un petit peu mis sous l’éteignoir… mais pas trop. Juste ce qu’il faut. Et si le twist final est (relativement) prévisible, il n’en demeure pas moins aussi assumé qu’efficace et évite l’absurde fini que pas mal de films récents ont atteint en voulant à tout prix sacrifier à cet effet de mode.
Evidemment, tout n’est pas parfait. Fulci retombe parfois dans son travers habituel de multiplier à l’envi les fausses pistes, quitte à prêter le flanc aux incohérences. D’autre part, les ficelles sont par moments très grosses : certains raccourcis, certaines facilités scénaristiques ne manqueront pas de légèrement faire tiquer le spectateur. Mais tout cela ne porte en aucune façon préjudice au rythme ou à la narration du film. Et au fond, c’est bien là le principal.


LE MUR DU SANG
Bien plus qu’un film d’épouvante ou qu’un film fantastique, L’Emmurée Vivante peut être considéré avant tout chose comme un giallo. Enquête policière. Cambriolage. Chantage. Adultère. Meurtres crapuleux. Cadavres cachés. Bref, tous les éléments typiques du genre s’y retrouvent… sauf le côté sexy, ce qui, au vu des actrices figurant dans ce film, ne manquera pas d’en faire soupirer certains de regret (ceci dit, Fulci se rattrapera dans d’autres films, comme par exemple son célèbre Enfer Des Zombies avec une scène totalement gratuite de monokini… mais on s’égare un peu). Rien ne manque, pas même les images de tueurs silencieux et gantés menaçant des proies féminines, ni les victimes mortes dans d’atroces souffrances (se faire emmurer vivant, il y a franchement plus drôle). Fulci nous régale même d’une excellente séquence de poursuite de l’héroïne par le tueur, séquence culminant en une confrontation dans une église abandonnée. Cette scène, absolument magistrale, paralyse le spectateur de par son intensité folle et son suspense tétanisant (ça, c’est fait). N’oublions pas non plus l’incroyable musique soutenant cette scène, musique ayant traumatisé plus d’un cinéphile (nous y reviendrons).

Bref, une fois n’est pas coutume, Fulci met l’élément fantastique au service de l’élément policier et non le contraire. Dans cette perspective, le film procède par petites touches subtiles.
A ce titre, l’utilisation des couleurs prend un sens symbolique assez intéressant. Après l’ouverture déjà citée, nous présentant le trauma initial de l’enfant, le film enchaîne avec une séquence nous montrant une Virginia adulte et heureuse en mariage. Cette scène se déroule dans la magnifique campagne Toscane, splendide décor naturel s’il en est. La journée est ensoleillée. Le couple est souriant. Les couleurs sont chaudes. Naturelles. Rassurantes. Vivantes, en un mot. Puis Virginia, qui vient de déposer son mari à l’aéroport, retourne chez elle en voiture. Elle doit traverser plusieurs tunnels, de plus en plus longs. D’un léger malaise initial, Virginia en vient vite à visiblement redouter le tunnel suivant. Arrive le plus long tunnel. Le noir est total… et s’accompagne de visions. Visions de morts violentes. Visions de sang. Le sang, justement. Du jaune ensoleillé, la couleur dominante passe au rouge.
Le rouge des anciens meurtres. Le rouge de la pièce où Virginia se réfugiera et trouvera la lettre révélant le fin mot de l’histoire. Le rouge de son propre sang…
Et après le rouge, on en arrivera au noir. Celui de la nuit fatale. De la véritable nature du mari de Virginia. De la mort. Bref, l’évolution naturelle du ton du film (douceur, violence, mort) est soulignée par les couleurs dominantes à l’écran au fil du récit. Le procédé est habile.
D’autre part, Fulci est bien conscient de la richesse de la thématique qu’il aborde avec ce film. Ainsi, il n’hésite pas à jouer sur le fait que les visions qu’a Virginia de ce qu’il va se passer provoquent elles-mêmes ce qui va se passer. Et Fulci de subtilement souligner le déterminisme fatal (voire morbide, ce qui au fond rattache d’une certaine manière L’Emmurée Vivante à la thématique habituelle de Fulci) du récit. Virginia est emmurée vivante dès le départ, de par la nature même de son don.
Et c’est bien là le plus effrayant, non ?

L'Emmurée Vivante
 


LE CHŒUR RÉVÉLATEUR
Fulci l’a souvent démontré dans ses films : la littérature fantastique anglo-saxonne est pour lui une grande source d’inspiration. Il y avait déjà Le Tour D’Ecrou d’Henry James, auquel il fait clairement référence dans La Maison Près Du Cimetière. Pour L’Emmurée Vivante, c’est plutôt du côté de l’immense Edgar Allan Poe qu’il faut regarder, et plus particulièrement son célèbre Cœur Révélateur, voire même son tout aussi fameux Chat Noir (nouvelle dont s’inspirera d’ailleurs vaguement Fulci pour en tirer un film éponyme). Effectivement, le ressort dramatique final de ces deux nouvelles (le meurtrier est confondu par un bruit, imaginaire ou pas, émanant de l’endroit où est dissimulé le cadavre) se retrouve dans le film qui nous intéresse ici.
D’autre part, c’est la thématique même de la vie emmurée et donc condamnée qui est très cher à Poe ; on le voit dans d’autres nouvelles comme par exemple La Chute De La Maison Usher, ou même dans une certaine mesure dans Double Meurtre Dans
la Rue Morgue avec son singe cachant des cadavres dans une cheminée.

Mais le petit jeu référentiel peut s’étendre au-delà de la littérature. Ainsi, L’Emmurée Vivante n’est pas sans fortement rappeler le splendide et extraordinaire Ne Vous Retournez Pas de Nicolas Roeg. Les points communs entre les deux films sont effectivement nombreux : le cadre de l’action situé en Italie, le personnage principal doué de pouvoirs de visions courant inconsciemment à sa propre perte, la scène-clé se passant dans une Eglise, le personnage habillé de rouge, le retournement de situation final… Il y a pire, comme référence. Même la phrase d’accroche du film se retrouvant sur les jaquettes de l’époque joue la carte de la référence : "Derrière un mur, personne ne vous entend pourrir…". L’allusion est sympa et les amateurs apprécieront. Et bien entendu, impossible de conclure sans parler de la célèbre comptine donnant son titre original au film : Sette Notte In Nero (vous l’aurez traduit sans mon aide : Sept Notes Dans Le Noir). Cette musique inoubliable, soutenant la fameuse scène de l’Eglise à laquelle on a déjà fait mention, semble avoir fortement marqué Quentin Tarantino lui-même. En effet, ce dernier l’utilisera lors d’une scène de son excellentissime Kill Bill. Après tout, pour bien des gens, le label Tarantino’s approved est devenu une sorte de critère d’évaluation ultime en ce qui concerne l’intérêt d’un "ancien" film. Est-ce une bonne chose ? Pas forcément. Mais une chose est sûre : dans le cas de L’Emmurée Vivante, c’est définitivement à raison.


SETTE NOTTE IN NERO
Réalisateur : Lucio Fulci
Scénario : Lucio Fulci, Roberto Gianviti & Dardano Sacchetti
Production : Carlo Cucchi & Roberto Cocco
Photo : Sergio Salvati
Montage : Ornella Micheli
Bande originale : Bixio, Frizzi & Tempera
Origine : Italie
Durée : 1h35
Sortie française : 4 mars 1981




   

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