Q's Day : Jackie Brown

Quand Quentin rencontre Elmore

Quentin Tarantino

C’est lors du tournage de Pulp Fiction que Quentin Tarantino et son acolyte Lawrence Bender posent une option sur Punch Creole, un des romans les plus récents (1992) du célèbre romancier Elmore Leonard.


Puis Q.T s’intéresse plus sensiblement à deux autres opus du même auteur, Les Fantômes De Detroit et D’Un Coup, D’Un Seul. Il ne reviendra à Punch Creole que suite à un nouveau coup de cœur. Ainsi naîtra Jackie Brown, le fruit d’une série d’intuitions du cinéphile fou, un mix entre l’esprit littéraire de son auteur et la verve cinéphile de son adaptateur, au final une symbiose cinéphilo/littéraire/musicale comme on en voit peu dans le genre.

Affiche Jackie Brown
Punch Creole conte l’aventure de Max Cherry, un prêteur sur gage désabusé qui rencontre la blonde Jackie Burke, hôtesse de l’air et mule du vendeur d’armes Ordell Robbie. Bloquée par les fédéraux, Jackie se voit contrainte de jouer un double jeu pour ne pas finir en prison ou flingué par son boss. Elle décide de faire passer l’argent d’Ordell en se réservant une part du magot, avec l’aide du prêteur sur gage amoureux d’elle.
Le film de Quentin Tarantino, sorti en 1998, est sensiblement fidèle au roman d’Elmore Leonard tout en étant largement imprimé de la Tarantino’s touch. Les mondes du réalisateur et de l’écrivain sont proches mais ce sont les choix du réalisateur qui soulignent et améliorent les bonnes idées de Punch Creole, en particulier le choix des premiers rôles qui montre l’étendue du talent de casteur de Q.T. La blonde hôtesse de l’air Jackie Burke devient la black et distinguée Jackie Brown en hommage au film Foxy Brown qui fut un des plus gros succès de la Blaxploitation, genre des 70’s reproduisant les figures du cinéma populaire avec des héros noirs. Il offre d’ailleurs à Pam Grier, égérie du genre, le rôle titre de son film.

Grand admirateur de l’actrice, Tarantino n’a qu’une seule idée en tête : la mettre en valeur, et il y a de quoi faire. A la fois douce, sensuelle malgré sa quarantaine et intimidante, elle tient la tête haute un rôle de femme forte. Robert Forster campe le taciturne Max Cherry, délesté de sa femme et des aléas de la vie de prêteur sur gage qui constituaient une partie non négligeable du roman. L’esprit cinéphile de Tarantino avait sans doute compris qu’il n’y avait pas lieu de s’attarder par de longues scènes sur un fardeau qui se lisait sur le seul visage de l’acteur. Ordell Robbie, interprété par Samuel L. Jackson est une fidèle copie de son double papier, l’acteur étant le prolongement naturel du côté showman de vendeur d’arme. Le réalisateur/scénariste modifie plus nettement le personnage de Louis Gara qui passe d’ancien taulard et collègue de Max Cherry à sidekick laconique et crétin d’Ordell Robbie, offrant à Robert DeNiro l’occasion de livrer un rôle où tout passe dans l’attitude et peu dans les dialogues. On ne l’a d’ailleurs pas vu en meilleure forme depuis. Michael Keaton compose quand à lui un agent du FBI singulier tandis que le rôle de Mélanie, la petite surfeuse exaspérante, échoue à une Bridget Fonda qu’on croirait être née pour ce rôle. L’exégèse cinématographique de Tarantino l’a amené au final à rassembler une équipe d’acteurs qui, à la relecture, éclipsent sans problème les originaux du papier.

Jackie Brown
 

Sur la forme, le réalisateur rend son récit aussi linéaire que ces dernières œuvres étaient éclatées, reprenant chronologiquement des scènes entières de l’œuvre l’inspirant, laissant le temps de faire vivre les lieux, les personnages et s’assurant que chaque enjeu soit correctement posé avant d’entrer dans le vif du sujet. Ainsi il pose les jalons de la mise en scène de la dernière partie, décrivant exhaustivement les caractères des personnages des différents camps et les rapports qui se tissent entre eux. On suit la mise en place du plan de Jackie, puis la répétition. Lorsque la tension est à son comble, Tarantino peut alors pleinement s’amuser. Il n’a jamais caché son admiration pour DePalma, autre réalisateur féru de mises en scènes. Il offre alors au personnage de Robert Forster, identifiant du public, un film dans le film interactif dont il est le seul spectateur omniscient, un beau jeu de dupes scénarisé et interprété de main de maître par Jackie. Il se déroulera selon les points de vues de chacun des camps, le spectacle s’achevant sur la propre participation de Max Cherry. Mais le parfait scénario, aussi bien interprété fut-il, n’est qu’une donnée de cinéma et la réalité admet toujours des failles. La dernière partie du film se chargera de renvoyer les complices à cette réalité par une menace qui rôde encore. Le final n’en sera qu’un plus grand soulagement.

Fidèle à lui-même, Tarantino cisèle les dialogues déjà brillants d’Elmore Leonard, dessinant des personnages qui se traînent chacun un passé, tous bien ancrés dans leur monde complété par des détails de son cru, un rythme et un humour reconnaissable entre mille. Il y incorpore aussi la musique, parti intégrante de son cinéma. De la scène au Jackrabbit’s slim (Pulp Fiction) aux truands qui écoutent la station des 70’s K-Billy (Reservoir Dogs) en passant par les dialogues de Jungle Julia et sa bande (Boulevard De La Mort ou de celui de Bill et sa dulcinée devant la Chapelle (Kill Bill), la cool attitude des personnages Tarantiniens ne va jamais sans leur attrait pour la musique. La musique black est discrètement présente dans le roman par l’entremise de la Motown, Tarantino en fait un personnage du film révélant et délimitant le monde dans lequel il évolue. L’occasion de voler un peu plus le ton de la Blaxploitation, mais aussi de servir une narration regroupant une multitude de personnages. La musique représente un repère temporel pratique lorsque le récit vient à s’éclater dans l’épisode de la galerie. Elle permet aussi d’installer les rapports de force. Le titre des Delfonics que Jackie fait découvrir à Max Cherry le suivra pendant toute la durée du film et confirmera son entrée progressive dans le monde de l’hôtesse de l’air, d’abord par son achat, puis par l’écoute lors de l’opération. Un indice flagrant de complicité à destination du spectateur qu’Ordell aurait du relever. A la manière d’un film noir dont les repères moraux seraient brouillés, le Max Cherry de Tarantino est à la fois attiré et impressionné par Jackie Brown et le pied d’égalité instauré dans le roman reste vacillant dans le film, laissant cette relation au niveau du platonique. Elle sonne ainsi bien plus juste.

Jackie Brown
 

A travers le quotidien d’Ordell et de sa bande, Elmore Leonard rejoint parfaitement Tarantino dans un équilibre qui allie l’inquiétant à une part de grotesque que relaient les commentaires sarcastiques de Mélanie ("Ce sont des nazes !"). A travers l’histoire de Jackie et de Max, Jackie Brown se voit comme une ballade douce amère et un regard lucide, posé sur le défilement des années. Voilà un film incroyablement mature de la part d’un homme qui n’avait alors que trente cinq ans et qu’on pensait abonné à un label 100% déjanté. Tarantino avouera lui-même qu’il ne souhaitait pas inclure dans Jackie Brown plus de violence qu’il n’y en avait dans le bouquin. Mais les qualités littéraires de Pulp Fiction et de Reservoir Dogs recelaient déjà une passion pour le théâtre de leur auteur et l’envie de suivre en profondeur des personnages pittoresques. Par Jackie Brown, Tarantino confirme ses talents d'adaptateur de génie qui sait rendre hommage à ce qu’il aime en se l’appropriant, une qualité qui se confirmera quelques années plus tard avec les géniaux Kill Bill 1 & 2.


JACKIE BROWN
Réalisateur : Quentin Tarantino
Scénario : Quentin Tarantino d'après Elmore Leonard

Production : Bob & Harvey Weinstein, Lawrence Bender…

Photo : Guillermo Navarro
Montage : Sally Menke
Origine : USA
Durée : 2h34
Sortie française : 1er avril 1998


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