Le téléchargement en question

La DivX comédie

La mule is alive

Lectrices, lecteurs, l'heure est grave : la culture se meurt. "Oui, depuis des décennies" seraient tentés de répondre les plus cyniques. Or nous parlons ici de la vraie culture : celle qui s'achetait et qui ne s'achète plus, celle qui permettait de cloisonner les strates sociales et qui est maintenant accessible à tous : nous parlons de la culture marchande voyons !


Car c'est bien la seule qui mérite toute l'attention des pouvoirs publics à en juger le rapport Olivennes et les crises de panique de nos dirigeants face au téléchargement illégal. "Les hommes sont mille fois plus acharnés à acquérir des richesses que de la culture" disait Schopenhauer. Le déplorable cirque médiatique qui entoure Internet, le haut débit et le "piratage" depuis une demi-douzaine d'années maintenant en est la plus parfaite démonstration.

LA GUERRE DES RAPPORTS
Il y a quelques semaines, en novembre dernier, Denis Olivennes remettait au gouvernement un rapport de quarante-trois pages nommé Le Développement et la Protection des œuvres Culturelles sur les Nouveaux Réseaux. En premier lieu on s'étonnera d'avoir confié un tel travail à l'actuel PDG de la Fnac, sûrement pour obtenir un traitement complètement objectif de la chose.
En deuxième lieu, on est frappé à la lecture de ce rapport par la disparition en cours de route d'une partie du titre : "développement". "Protection" y est, ne vous inquiétez pas. Il n'y a même que ça. En effet, ce rapport est une compilation impressionnante de recommandations répressives, de filtrage, de surveillance, de mesures pénales et civiles, de restrictions, d'interdictions en tout genre, de moyens plus ou moins moraux d'incitation à la délation chez les FAI, etc. Une certaine idée du développement et de l'aide à la culture. Mais cessons un instant la mauvaise foi, car il y a bien deux propositions (deux, pas plus) ne s'inscrivant pas dans une logique répressive : elles concernent la réduction des fenêtres d'exploitation d'un film en VOD de sept mois et demi à quatre mois après sa sortie en salle et l'abandon de la DRM sur les Mp3 légaux. Outre le fait que ces mesures ne changeront rien (elles arrangeront même les pirates, qui auront des copies de meilleures qualités plus rapidement et facilement), elles sont incroyablement dérisoires face à la révolution numérique culturelle qui nous attend. Par contre c'est tout ce que peut espérer un responsable de services en ligne comme Fnacmusique.fr qui ne voit jamais plus loin que les bilans comptables de fin d'année.

Le summum des mesures ubuesques présentées se trouve page 7 :

"En outre, aux termes de l'article L. 325-2-1 du code de la propriété intellectuelle (article 21 de la loi DADVSI), le fait de mettre à disposition du public, sciemment et sous quelque forme que ce soit, un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisé d'œuvres ou d'objets protégés est susceptible des mêmes peines."

Ou comment interdire purement et simplement tout logiciel de P2P (soit l'échange entre internautes, la base même d'Internet) sur la seule présomption de culpabilité des utilisateurs. Tout en remisant au placard une certaine idée de la présomption d'innocence, l'auteur de ce rapport ne se doute apparemment pas qu'il est techniquement impossible de qualifier la légalité d'un logiciel de partage, car seule l'utilisation qui en est faite peut être réprimandée. Un peu comme si on interdisait les couteaux car des maniaques s'en servent illégalement. Mais les libertés individuelles sur Internet, ce n'est pas pareil.
De toutes façons, qu'attendre d'un texte débutant par des contre-vérités visant à lustrer l'image de l'Etat :

"La France est aujourd'hui l'un des tous premiers pays du monde par le développement d'Internet, en particulier d'Internet à haut débit, la fibre optique annonçant encore de nouveaux progrès en terme de capacité." (page 4)

Dès la première page, Olivennes contredit tout ce qui était avancé dans le rapport de Michel Rocard, République 2.0, Vers une Société de la Connaissance Ouverte remis en avril 2007 à Ségolène Royal. L'ancien Premier Ministre y démontrait le retard de la France par rapport à ses voisins Européens en matière de foyers équipés numériquement, d'infrastructures, d'éducations aux nouvelles technologies. Y était de plus évoquée une fracture numérique au sein même du pays, chiffres à l'appui évidemment, ce que ne donne pas Olivennes dans son éloge à la Nation.

Les deux travaux ne diffèrent bien entendu pas seulement sur ce point. Ce sont deux philosophies qui s'opposent, deux idées non pas de la culture ou du numérique, mais tout simplement de société.
D'un côté nous avons une politique misant sur le tout répressif pour tenter de sauver (en vain) une conception du rapport culture/citoyen qui s'est imposée comme norme au cours du demi-siècle passé au point qu'il est inconcevable pour nos dirigeants de la remettre en question devant un tel bouleversement philosophique, économique et sociologique, quand bien même tous les éléments qui la composent (supports physiques, industrialisation massive, têtes de gondoles superstars, spectacles-promo, naissance d'une nouvelle bourgeoisie qu'est le vedettariat) n'était qu'une étape de transition basée sur les outils socio-économiques du XXème siècle permettant à la culture d'évoluer vers ce à quoi elle est destinée depuis que le monde est monde : être universelle, accessible et ouverte, sans restriction matérielle ni temporelle. A cette utopie dont a toujours rêvé l'Humanité, s'oppose donc une poignée d'hommes, de puissants, de dirigeants, qui s'accrochent comme un bulot sur son rocher à cette courte période de l'Histoire où "culture" était synonyme d'"industrie", et dépendait de grandes multinationales engrangeant des bénéfices faramineux. 

De l'autre côté, nous avons un parlementaire avançant les termes "éducation", "évolution", "ouverture", "changement de société", "chance". Rocard a très bien compris les enjeux véritables et profonds qui se jouent actuellement avec l'avènement des nouvelles technologies, et les difficultés que la classe politique rencontre pour assimiler un concept qu'elle ne cesse pourtant de clamer : la démocratie.
Là où Olivennes y va de son petit conseil façon "le peer-to-peer c'est illégal, détruisons Internet sauf les plates-formes de la Fnac", Rocard s'interroge :

"Ou bien les jeunes accèdent à Internet parce qu'au-delà du seul accès aux contenus édités, c'est l'espace où s'inventent les modes d'échange, de partage, de constitution de nouveaux savoirs et de création. S'il s'agit bien de cela, que dirait-on de mesures qui interdiraient de lire à ceux qui partageraient les livres qu'ils ont aimés ?" (page 19 du rapport Rocard)

Et oui, les internautes penseraient d'abord à leur plaisir, à leur curiosité et à leur envie de partage avant de penser à nuire aux multinationales. Incroyable, il existerait donc des gens sur cette planète ayant d'autres préoccupations que la valeur marchande des choses et la volonté de détruire le capitalisme. Dans cette hypothèse-là, comment vont être prises les mesures liberticides du plan Olivennes ? Mal. C'est bien pour cela qu'une bonne partie de son rapport tente de trouver les meilleures solutions afin de faire passer la pilule en douceur. Ce que les politiques ne comprennent pas, c'est que ça fait six ans que la pilule ne passe pas et ne pourra passer, d'une manière ou d'une autre.

"Alors que des pans entiers de la culture sont en train d'évoluer, et pour d'une part de migrer sur Internet, le ministre de la culture n'a pas pris la mesure de ces évolutions. Pire, il n'a ni adapté son administration à cette évolution majeure, ni alloué des crédits, ni même aidé les acteurs. Au contraire, il a cherché à combattre les innovations dans le secteur numérique et à brimer les internautes." (page 23 du rapport Rocard)

"Nous venons de traverser cinq années pendant lesquelles les politiques conduites par le gouvernement ont traité Internet et le numérique comme des menaces et non comme une chance." (page 5 du rapport Rocard)

Menaces. C'est le mot. Les internautes curieux, partageurs, découvreurs, sont des menaces. Même pire, selon Olivennes :

"Le piratage est une externalité économique négative, une nuisance préjudiciable à la collectivité." (page 14 du rapport Olivennes)

Ce sont des nuisances.
Et l'accès libre à la culture est un préjudice à la société.

LA CULTURE DE LA FINANCE LE FINANCEMENT DE LA CULTURE
Certes, ce n'est pas un désir d'utopie et la gratuité (ou du moins, l'apparence de la gratuité) qui nourriront les artistes et permettront aux producteurs et aux structures de pérenniser. Quelles sont les solutions alors ?
Elles sont nombreuses et variées, tant qu'on se donne la peine de les chercher, de les expérimenter et surtout de remettre en question le modèle économique sur lequel repose les biens culturels.

"Les chanteurs ont demandé beaucoup trop d'argent" disait Jacques Brel en 1973, déjà conscient que ce star system pour millionnaires sera voué tôt ou tard à disparaître. Hélas, trente-cinq ans plus tard les artistes, élevés dans cette idée matérialiste d'une réussite ne se réalisant qu'à travers des revenus financiers conséquents avant de passer par une large audience et une reconnaissance moins pécuniaire, sont bien loin de ces considérations. Debord, revient ! Ils sont devenus fous.
Les médias nous montrent régulièrement des Diam's scandalisée de voir ses titres disponibles sur eMule (ce qui ne l'empêche pas d'être en tête des charts), des Patrice Leconte outré que des gens téléchargent Les Bronzés 3 avant sa sortie cinéma (ce qui ne l'empêche pas de finir premier au box-office). Mais va-t-on nous montrer un jour un artiste s'exclamant à quel point c'est génial et gratifiant de voir des gens s'intéresser à ce que l'on fait, au-delà de toutes considérations financières, ou alors la reconnaissance de nos jours ne vaut que selon la taille de son compte en banque et la somme rapportée par son oeuvre ?
Etre premiers des classements, des ventes et des entrées ne suffit même pas aux stars, il faut plus. Mais plus quoi ? Plus d'argent ?

Et c'est là que la discussion coince et coincera pour un bout de temps. Car il faudra bien un jour que les acteurs du milieu comprennent qu'il n'y aura pas "plus d'argent". Cette époque admirable où les artistes étaient des demi-dieux plus riches que des rois est révolue. Les majors et structures de productions devront revoir la répartition de leurs budgets, c'est inévitable. Par exemple, celles-ci se plaignent de ne pouvoir développer des jeunes artistes, argument massue visant à culpabiliser le terroriste sociopathe qui sommeille en chacun de nous : le bon sens des gens malhonnêtes leur conseillerait d'économiser dans ce cas sur les centaines de milliers d'euro consacrées aux budgets vêtement, bijoux et accessoires payés à leurs artistes les plus riches. On appelle ça de la gestion comptable, un bon niveau collège en math suffit à comprendre ce fascinant mécanisme de balancier.
D'ailleurs, pourquoi le manque à gagner devrait se reporter sur les sommes allouées à la production et non sur les bénéfices directs de ces sociétés, sur les dividendes des actionnaires, sur les pourcentages d'artistes vivant outrageusement au-dessus des moyens de l'individu lambda ? Plus inquiétant : pourquoi cette option n'a absolument jamais été envisagée ? Pourquoi c'est forcément chez le public, chez le consommateur, que doit être imposées taxes, mesures restrictives et propagandes violentes le traitant de voleur et d'irresponsable ? Les irresponsables à notre époque ne sont-ils pas les millionnaires de Metallica ou de la chanson française engueulant le smicard qui télécharge de la musique ? Heureusement que de véritables artistes tels que Trey Parker et Matt Stone remettent de temps en temps ces divas en place (soulignons d'ailleurs que les auteurs de South Park encouragent et autorisent la mise en ligne gratuite de leurs créations, ce qui n'empêchent pas leur série d'entamer en mars sa douzième saison et le duo de rouler sur l'or).

A ce propos, soulignons un aspect bien souvent occulté par les politiques et les médias : lorsqu'un individu télécharge des produits pirates sur Internet, des Mp3 ou des DivX dont il ne possède pas la licence d'utilisation, il ne vole pas. En effet, voler est l'acte de prendre illégalement le bien d'autrui. Dans le cas d'une œuvre, cela revient par exemple à subtiliser un morceau de musique et se faire passer pour l'auteur. Dans le cas du téléchargement d'un Mp3 illégal, c'est simplement de la contrefaçon : de la copie de moindre qualité d'un produit original. Pour cette raison, il serait bienvenu dans un premier temps de supprimer ce message honteux ouvrant les DVD achetés légalement dans le commerce, affirmant que télécharger le dernier blockbuster à la mode est équivalent à l'arrachage de sacs à main de petites vieilles (ceci est une parodie savoureuse tirée de la série anglaise The IT Crowd – notez que cet extrait mis en ligne illégalement est ici utilisé dans le cadre du droit à la citation : cela le rend-il légal ? Ne vous en faites pas, personne ne connaît la réponse puisque ce genre de question n'est jamais soulevé). En étant moins insulté et rabaissé, le spectateur "illégal" sera peut-être plus enclin à discuter et écouter les points de vue des grands groupes. Bien qu'il faudrait auparavant inventer un nouveau terme pour de la contrebande dont aucun acteur n'en retire des bénéfices…

Ha si, il y en a qui retirent indirectement des bénéfices, et pas qu'un peu, de toute cette activité de pirates terroristes qui ne font que détruire la société de la culture : les multinationales comme Sony, Apple ou Vivendi Universal.
Car les Mp3 sont le mal absolu, sauf quand on vend par containers entiers des lecteurs Mp3, des autoradios Mp3, des graveurs, des CD vierges… Les DivX ont été engendrés par le Malin, mais on ne dit rien sur les sommes faramineuses rapportés par les ventes de platines DivX, de disques durs, de graveurs DVD, de DVD vierges et des diverses taxes appliquées sur ces produits, quand bien même la plupart ne sont absolument pas destinés à contenir des fichiers illégaux (nous voyons ici un vestige de cette politique coincée dans les années 70, appliquant la même règle aux supports numériques qu'aux cassettes audio pour compenser les enregistrement de musique à la radio). Ne parlons pas des fournisseurs d'accès, ni des constructeurs de consoles de jeu qui vendent leurs machines comme des petits pains car aisément piratables, eux aussi, "victimes" de ce carnage à grande échelle.
Des dizaines de sites tels que YouTube et Dailymotion ont explosé grâce à des contenus dont ils n'avaient pas les droits (et dont ils n'ont pour la plupart toujours pas réglé les cas) et le travail spontané de millions d'internautes (montage, encodage, chargement sur les serveurs, travail éditorial certes basique mais suffisant pour être référencé sur les moteurs de recherche). Ces internautes auront-ils des dividendes de la part de ces compagnies en fin d'année ? Lorsque les créateurs de YouTube ont vendu leur bébé à Google pour la modique somme de 1,65 milliards de dollars, ont-ils eu un mot, un geste, envers tous ces sales pirates qui ont construit le succès de leur entreprise et assuré la richesse de leur famille pour vingt-huit générations ? 1,65 milliards de dollars. Je répète car le nombre donne le tournis. Sur quoi d'ailleurs repose cette valeur ? Sur la publicité et le trafic du portail, simple. Imaginez un instant qu'on taxe les revenus de la pub sur ce genre de sites Web, n'y aurait-il pas un moyen plus juste et adéquat d'aider la production culturelle plutôt que de demander à l'internaute de payer une taxe supplémentaire pour un service dont il est le principal artisan ?

Mais les plus à plaindre dans cette affaire sont les maisons de disque, les distributeurs de films et les chaînes de télévision : en effet, à cause d'une quantité ahurissante de travail gratuit et de qualité, les pirates ont modifié en à peine quelques années le rapport qu'entretenaient les consommateurs avec les biens culturels et leur méfiance envers l'achat de produits 100% virtuels. Souvenez-vous, au début des années 2000, les publicitaires étaient encore obligés de créer des "packs" pour vendre des forfaits téléphoniques et des assurances afin de rendre visibles et concrets des services intangibles et rassurer le consommateur dans son acte d'achat. Le téléchargement illégal a permis de démocratiser avec une facilité déconcertante l'usage de produits totalement immatériels, produits qui, il va sans dire, bénéficient en majeure partie des développements technologiques (codec, architectures logicielles, ergonomie d'utilisation) conçus par les pirates terroristes voleurs et ennemis publics, qui n'en retireront aucun avantage, si ce n'est de risquer la prison. Allez supporter de vous faire engueuler par Marc Lavoine après ça… (souvenez-vous, c'était sur le site mystérieusement disparu lestelechargements.com, qui nous apprenait en quoi le libre échange est mal tout en étant développé sur un logiciel open source : un sketch vidéo y montrait le sémillant économiste Lavoine nous expliquer comment le téléchargement illégal allait mettre 400 000 personnes au chômage, rien qu'en France. Je n'ai retrouvé que cette parodie, vidéo produite par un internaute anonyme. Mais soyez soulagés, les clics engendrés sur cette page et les revenus publicitaires qui en découlent tomberont dans l'escarcelle de Dailymotion). Ajoutons que ces produits virtuels vendus quasiment le même tarif que sur support ne sont pas de semblable qualité. Ce ne sont que des compressions, des contrefaçons rendues légales par la magie du capitalisme et l'extrême tolérance de l'utilisateur, ce sale truand qu'il faut taxer et réprimander (un morceau de musique à 1 € donne un coût de revient d'un album moyen à 12 € pour 15 € dans le commerce, sans pochette, ni livret, ni support physique… Une saison de série TV en VOD sur Tf1.fr revient à peu près 20% plus chère que le coffret DVD).

"Pendant des années, l'Internet s'est développé sans le concours véritable des industries constituées : sans l'industrie des télécommunications (qui regardait ce réseau sans tête ni centre avec méfiance), sans l'industrie des systèmes d'exploitation et même sans les constructeurs d'ordinateurs personnels, qui considéraient inutile d'inclure les modems dans les machines. L'Internet s'est développé aussi sans les industries de la culture." (page 10 du rapport Rocard)

LA FIN ABSOLUE DU MONDE
Et quid du cinéma ? Notre passion préférée se porte bien, merci pour elle. En effet, contrairement à ce que tentent de faire croire les jérémiades des professionnels de la profession, la fréquentation en salles croît depuis 1999, les films français augmentant régulièrement leur part de marché jusqu'au premier trimestre 2007. Mais alors, où est le problème ? Pour tout vous dire, on se le demande. Les DVD jusqu'à cette année se vendaient par palettes entières ; la légère récession a bien sûr était immédiatement analysée sous l'angle du piratage, aucunement par l'arrivée de nouveaux formats et normes tels que le HD DVD et le Blu-Ray. Bref, ça roule pour le septième Art. Ce qui n'empêchera pas l'Académie des Césars de nous pondre son laïus annuel en février prochain, expliquant que les gens tuent le cinéma français, que c'est grave, que c'est à cause de vous, nous, eux, que l'audiovisuel du pays périclite, etc.
Tout comme cela n'a pas empêché la tentative de création d'une taxe pour venir en aide à une industrie qui se porte bien… Cette loi, refoulée par le Sénat aussi rapidement qu'elle fût proposée car à moitié improvisée et basée sur aucun chiffre réel, montre bien qu'Internet n'est qu'un prétexte pour hurler au loup et grappiller un peu plus d'argent. C'est d'autant plus navrant que cette proposition de taxe sur les publicités des sites de vidéos aurait très bien pu servir à l'industrie de la musique, ou à tout autre secteur culturel (le jeu vidéo, le spectacle vivant, le multimédia, etc.), plutôt que de tenter d'engraisser un secteur qui n'en a pratiquement pas besoin comparé à ses voisins.

La façon dont l'industrie du cinéma français surfe sur la psychose du téléchargement illégal pour légitimer ses diverses contre-performances est pathétique. Les films les plus piratés sont les blockbusters américains, et si cela leur enlève une partie des entrées en salle, ils font toujours d'aussi gros scores au box-office. Pourquoi les films français feraient exception ? De plus, si des films sont disponibles en bonne qualité sur les réseaux P2P avant ou pendant leur exploitation en salles, c'est qu'il y a de toute évidence un problème au sein de la structure de production. Un DVD ou une copie de travail ne se retrouve pas rippée et partagée sur le Net par magie, il y a forcément une faute professionnelle quelque part : perte, vol, journaliste peu consciencieux, stagiaire farceur, n'importe ; la faute n'a pas à être imputée aux internautes, qui ne prennent que ce qu'on leur donne. Ceci est tout de même assez troublant : on accuse et vilipende des tiers avant de chercher les sources premières du problème (dans la même idée, rappelons que l'échec relatif de la série Heroes l'été dernier sur TF1 fût expliqué par les analystes de la chaîne par le piratage massif de ce show sur Internet ; à aucun moment l'idée d'une erreur de programmation et d'une mauvaise étude de marché ne les a effleurés. A contrario, la série Prison Break sur M6 est bien plus téléchargée que Heroes, et cela ne l'empêche pas de battre des records d'audience).

A Boire
 

 Ma Vie en l'air

De jolies copies pirates conçues et mises en ligne par des membres de l'Académie. Mais c'est de votre faute si la culture souffre. Tout est de votre faute, païens.



Cette systématisation de la réprimande du peuple, qui porte sur ses épaules tous les travers et erreurs d'une industrie dépassée, est écœurante. Mais quelque part assez révélatrice de la mentalité qui habite les responsables d'un certain milieu culturel, entre mépris du public et suffisance.

Parmi les ramassis de bêtises crasses et de violence intellectuelle qu'on nomme "débat sur le numérique", une parole de temps en temps arrive à s'extraire grâce au troublant bon sens qu'elle véhicule. Nous pensons par exemple à Benjamin Biolay invitant les artistes à attaquer leur maison de production car incompétentes pour protéger leur œuvre, ce qui est leur rôle premier, ne l'oublions pas. Marc Lavoine peut arriver en hurlant "400 000 chômeurs ! 400 000 !", on est tenté de croire qu'en effet, les professionnels seraient bien avisés d'agir en professionnels avant de venir pleurer au journal de 20h00.

De plus, bien qu'engrangeant toujours des bénéfices confortables, les sociétés audiovisuelles françaises restent prostrées dans l'attitude de la victime vidée de son sang par le vampire internaute. Tandis qu'aux USA, NBC met gratuitement en ligne des films et séries en haute qualité, comprenant que si ça a marché chez YouTube pour ramasser 1,60 milliards de dollars en deux ans, pourquoi pas eux ?
Au Canada, après avoir constaté qu'en fin de compte le téléchargement aidait vraiment le commerce de la musique, on mit en place la fameuse licence globale.

"Le partage de fichiers musicaux numériques en ligne est à la fois une révolution en matière de distribution de la musique et un phénomène extrêmement positif. Les efforts collectifs de millions de mélomanes permettent la mise en commun d’une variété et d’une richesse de répertoires, tant connus qu’inédits ou encore très ciblés, autrement impossibles à offrir. Cette activité constitue un apport important à la diversité culturelle."

Ils ont de la chance les canadiens. Chez eux c'est extrêmement positif. Chez nous c'est une menace, une nuisance.

"Les consommateurs ont clairement démontré qu’ils avaient adopté le partage de fichiers musicaux entre usagers en ligne comme nouvelle méthode d’accès à la musique."

Enfin quelques uns qui ont compris ! Vous en faites pas, chez nous on a clairement démontré que c'était illégal et voué à disparaître. 
Il va sans dire que la politique adoptée par les canadiens engendrera quelques changements importants, dont une homogénéisation des revenus entre les artistes, étant donné qu'il est impossible de quantifier les téléchargements de tel ou tel chanteur. Une certaine forme d'égalité mettant fin aux règnes des superstars milliardaires faisant office de trusts commerciaux ? Il faut l'espérer.

RÉVOLUTION CULTURELLE OU RÉGRESSION POLITIQUE ?
"Le Conseil d'analyse économique avait clairement, dès 2003, posé les termes du débat. Deux voies peuvent être empruntées. La première, défensive et coûteuse en termes de bien-être social, cherche à maintenir le plus longtemps possible le fonctionnement classique des marchés, retardant ainsi la marche de la révolution numérique. L'autre voie, au contraire novatrice, consiste à "inventer" un modèle permettant le fonctionnement efficace d'une économie de l'information. Dans tous les cas, il nous semble essentiel de ne jamais perdre de vue la nécessité de protéger une juste rémunération des artistes." (page 19 du rapport Rocard)

Hourra, c'est la première qui fût choisie par Olivennes et le gouvernement. Le tout répressif, donc, pour sauvegarder un cadavre socio-économique. On souhaite bien du courage aux magistrats et gendarmes chargés prochainement de faire respecter la loi. Entre autres légers détails techniques rendant la quasi-totalité des propositions de loi obsolètes ou hasardeuses, il y a celui de l'adresse IP, qui, comme chacun sait, peut regrouper plusieurs ordinateurs grâce à un routeur ou plus simplement une Freebox ou assimilée. Et comme il peut évidemment y avoir plusieurs utilisateurs derrière chaque PC, il serait intéressant de savoir comment sera désignée la personne incriminée. On met les habitants concernés par l'IP en rond et on fait tourner une bouteille de ketchup ?

Il reste inquiétant de voir les pouvoirs publics et l'industrie agir en dépit du bon sens et du progrès dans l'unique but de lutter contre ce qu'ils ont eux-mêmes créé. Car s'ils désirent tant que le public se sente concerné par le devenir de la culture, par le respect de l'art, sa diversité, son renouvellement et son devenir économique, il aurait peut-être fallu l'éduquer correctement plutôt que lui taper sur les doigts et sur les nerfs tant qu'il n'a pas acheté quinze fois le best of de Johnny. Où sont l'éducation et le dialogue lorsqu'on met de faux Mp3 en ligne ? A quoi cela sert, étant donné que l'internaute l'effacera illico pour trouver dans la foulée ce qu'il recherche ? A part exposer la petitesse d'esprit des maisons de disque et se mettre à dos le public, à rien.

Jusqu'ici, toutes les décisions concernant le téléchargement ne respiraient que mépris du peuple, hypocrisie déplacée et déni de l'essence même de la culture. Le retour de bâton est donc totalement naturel : à traiter la culture comme un produit quelconque et le public comme un troupeau de bœufs, comment peut-on s'offusquer que ce dernier n'en ai absolument rien à faire des conséquences de ses actes, qu'il juge normaux et légitimes ?

Dorénavant, c'est le problème d'Olivennes et consors, dont le rapport ne cesse d'impliquer la CNIL comme caution morale dans le processus de flicage sans pour autant mentionner une hausse du budget comme le préconisait Rocard, la CNIL n'ayant absolument pas les moyens de s'acquitter de sa mission, qui, rappelons-le, est la protection des données privées.

Si nous voulions donner des aigreurs à Pascal Nègre et ses comparses, nous listerions encore longtemps les avantages du téléchargement sur le "modèle ancien" (souplesse d'utilisation, sous-titres mieux traduits par des amateurs passionnés, séries visibles quand bon nous semble, dans l'ordre et sans censure, découvertes plus facile de talents et de cultures méconnus, artistes pouvant s'affranchir des circuits de distributions traditionnels, accès à une médiathèque d'échelle mondiale depuis son fauteuil, éducation et sensibilisation aux arts chez les enfants plus facile, mises à jour plus nombreuses et moins chères des nouvelles normes d'encodage, évolution naturelle des modes et tendances sans aucun formatage, etc.). Et si nous désirons par la suite les empêcher de nous couper les mains en nous hurlant que nous sommes des traîtres de la Nation, nous pourrions énumérer des moyens efficaces de pérenniser économiquement ce nouveau système.
Mais les principaux acteurs économiques de cette affaire seront-ils prêts à consentir des efforts financiers que personne ne pourra assumer pour eux, bien qu'ils tentent depuis des années de faire croire que c'est fort tout naturellement au public de prendre cette charge sur ses épaules ?
Si la réponse reste irrémédiablement négative, alors en effet, rien ne risque de s'arranger entre les deux parties.

Car nous le répétons : il est totalement hors de question que le public paye pénalement ou économiquement pour une mutation technologique et sociologique que l'Etat et les grands groupes médiatiques n'ont jamais su comprendre jusqu'ici. Si l'on veut un jour trouver des solutions viables pour profiter pleinement de cette importante évolution qui nous attend, il est primordiale d'aborder ces décisions débarrassé d'une conception archaïque de la culture et de son industrialisation.

Affaire à suivre…
Nous ne la lâcherons pas.

"La seule manière de protéger sa culture, c'est d'accepter de la mettre en danger."  
Paul Andreu, architecte.


[Le rapport Rocard]
[Le rapport Olivennes]

[Captures d'image tirées de A Boire de Marion Vernoux et de Ma Vie En L'Air de Rémi Bezançon]




   

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