Ponyo Sur La Falaise

Un Kami qui vous veut du bien

Affiche Ponyo Sur La Falaise

Aux antipodes l’un de l’autre, Morse et Ponyo Sur La Falaise entretiennent pourtant des correspondances inattendues et sublimes. Et pas seulement parce que les deux films content une histoire d’amour entre gamins.


Mais patientons un peu avant d’évoquer Morse dont la critique de Vendie est en bonne voie, ne désespérez pas. Car Ponyo Sur La Falaise n’a pas besoin de comparaison flatteuse pour susciter l’intérêt et exister par ses qualités intrinsèques. Autrement dit, précipétez-vous pour le voir !

En perte de vitesse, pour ne pas dire complètement dépassé ou à la ramasse, depuis des années, Disney ne survit que grâce à l’activité de ses deux énormes poumons au cœur grand comme ça que sont Pixar et le studio Ghibli. Oui, c’est Mickey qui distribue les films de la maison de Totoro pour l’occident via sa filiale Buena Vista. Mais il est vrai que l’association Disney/Ghibli est peu présente à l’esprit tant les deux studios ont des conceptions opposées, voire antagonistes, du cinéma. Il n’y a qu’à comparer leurs dernières productions. De même, Dreamworks qui se joint à la mêlée ne peut se targuer que d’une réussite éclatante, Kung-Fu Panda qui, rappelons le, revisitait avec brio et déférence la culture et la cinématographie japonaise. Une ironie particulièrement mordante quand on voit que le véritable exploit des plus récents dessins animés n'est pas tant une révolution technologique au service de l'histoire que d'avoir réussi à masquer leurs déficiences scénaristiques derrière une 3D gadget.
Après un Volt guère survolté, ont débarqués des Monstres Contre Aliens où n'importe plus que l'accumulation de gags dans l'espoir que certains fassent mouche et la réactivation de références cinéphiliques (les films de S.F des fifties) autosuffisantes et autosatisfaites. Dans le genre, il n'y a que Pixar pour parvenir à transcender citations et défis techniques afin de concevoir avant tout une histoire relevant autant de l'intime que de l'universel.
Une définition que l'on ne manquera pas d'apposer au génie de Miyazaki qui après le foisonnant Le Château Ambulant revient à une forme de simplicité déconcertante tant il parvient avec Ponyo Sur La Falaise à faire ressurgir un émerveillement enfantin en mobilisant à la fois l'intellect et l'affect. Le japonais reste un maître comme le confirme son dernier petit bijou.

D’abord, ce film impressionne par son esthétisme à la fois très travaillé mais aussi épuré, un contraste saisissant que l’on remarque lorsque les personnages s’animent avec grâce dans des décors semblant dessinés par des mains d’enfants et qui rappelle la simplicité des graphismes de Mes Voisins Les Yamadas de l’autre vedette du studio, Isao Takahata. L’interaction, l’emprise du monde de l’enfance passe d’abord par une impression visuelle. De même, ces vagues d’où seuls les enfants sont capables de discerner des poissons géants. Miyasaki nous plonge littéralement dans la peau de gosses de cinq ans puisque tout ce que nous verrons sera perçu et apprécié par leur regard et d’après leurs propres valeurs. Un voyage étourdissant auquel le senseï nous convie.
Si les précédents films voyaient certains passages et personnages (Kamaji, Porco Rosso) inspirés par Magritte, Miyasaki puise également dans les estampes de Katsushika Hokusaï, peintre japonais talentueux en perpétuelle approfondissement de son art et que le milieu artistique défini comme un interprète de la nature et un observateur minutieux du monde des hommes. Pas étonnant que son ombre inspiratrice plane de manière aussi harmonieuse tant les thématiques ou la manière de communiquer l’intériorité par le trait se rejoignent. Avec Ponyo Sur La Falaise, Miyasaki lui rend hommage en faisant une relecture partielle et personnelle de sa série de toiles la plus célèbre, Les Trentes Six Vues du Mont Fuji parue en 1831 et où Hokusai s’empare de la montagne sacrée et refuge de sanctuaires shintoïstes. Les flots du Tsunami provoqué par Ponyo courant sur les vagues-poissons pour rejoindre Sosuke son amoureux semblent avoir été peint avec le même bleu de Prusse utilisé par le "vieux fou de dessin" comme il aimait à se nommer. De même, certains plans rappellent dans leurs compositions ou leurs perspectives ces célèbres tableaux.

Ponyo Sur La Falaise
 

Par le biais de cette référence visuelle, ce film, peut être plus que les autres, est entièrement voué à immerger le profane dans la culture shintoïste, fondatrice de la pensée japonaise et dont Miyasaki s’est fait le chantre depuis ses débuts.
Le Shintoïsme, religion japonaise, est entièrement axée sur le caractère sacré de la nature et le concept d'une réalité peuplée de divinités anthropomorphiques, les Kami. Les films de Miyasaki, que certains  qualifient par facilité (ou plus sûrement par paresse intellectuelle) "fables écolos", en sont une formidable illustration et adaptation.La coexistence de deux mondes a priori antinomiques, outre qu'elle advient naturellement par le biais de personnages-enfants, structure l'oeuvre entière du réalisateur au point que l'on ne peut se contenter de la réduire à une croyance mais l'envisager comme véritable mode de pensée. Après les esprits peuplant les thermes du Voyage De Chihiro, les dieux de la forêt vindicatifs de Princesse Mononoké ou la grosse peluche Totoro, Miyasaki choisit comme Kami personnel une princesse poisson rouge qui, en échappant à la vigilance de son créateur et "père" Fujimoto, va découvrir le monde des humains et désirer y rester. Comme souvent chez Miyasaki, il n'y a pas d'êtres foncièrement ou entièrement mauvais, la sorcière Yubâba (Le Voyage De Chihiro) ou Fujimoto ont des comportements ambivalents mais pas vraiment malveillants. Là encore, ce sont une représentation de Kamis du Shintoïsme, appelés Oni, à qui l'on attribuent certaines calamités mais qui sont pourtant associés à des Kamis bienveillants. Autrement dit, le Yin et le Yang.

Fujimoto cherche avant tout à protéger sa fille et par voie de conséquence l’humanité à cause des calamités que l’insouciance de cette dernière à devenir humaine provoque. Elle y a pris littéralement goût puisqu’elle a ingéré un peu du sang de Sosuke en léchant la plaie de son doigt. Dès lors un lien puissant va les unir. Bien sûr, cette histoire est une libre adaptation de La Petite Sirène de Andersen (ça toutes les critiques n’auront pas manqué de le relever) mais on ne peut s’empêcher de penser furtivement au vampirisme et donc à la sensation de Gérardmer, Morse. En effet, dans chacun une autre personne que le petit garçon est capable de voir la véritable nature de la petite fille et c’est une personne âgée. Dans Morse, celui que l’on prend pour son père se révèle, au gré des regards et des attitudes adoptées, être le précédent amant de Eli, figurant au passage ce que deviendra Oskar. Dans Ponyo Sur La Falaise, Toki la grand-mère pensionnaire de la maison de retraite où travaille la mère de Sosuke est la seule à percevoir le caractère divin et le possible danger que représente Ponyo. Cette fois-ci, la grand-mère figurant ce qu’adviendra Ponyo une fois qu’elle aura perdue ses pouvoirs après sa transformation complète en humaine. La différence étant que pour Morse cela soulignait le caractère tragique de leur relation (Eli condamnée à survivre à ses amours) tandis que Miyasaki célèbre l’union par l’assentiment de Toki qui finira par enlacer Sosuke.

Ponyo Sur La Falaise
 

Outre cette correspondance, Morse et Ponyo Sur La Falaise ont en commun l’utilisation de moyens de communication alternatifs, le morse pour l’un, les signaux de lumière pour l’autre. Deux procédés faisant intervenir des sens différents mais dont la clé de décryptage est la même : les lettres sont encodées suivant la longueur et la répétition d’un son ou d’une lumière. Des lumières majestueuses qui surgiront en flots pour illuminer des pêcheurs en détresse ou qui seront directement issues des manipulations magiques involontaires de Ponyo tentant de s’échapper de l’antre de son père dans une explosion de couleurs et de sensations dignes de Speed Racer (je sais, rapprochement hasardeux tant le but dans chaque film est différent mais c’est vraiment ce qui s’en rapproche le plus au niveau sensitif pur).
Miyasaki reprend en outre nombre de ses motifs abordés précédemment et se livre même à des autocitations qui donnent à Ponyo Sur La Falaise des airs de film somme. Substances noiratres peuplant les mondes créés par l’artiste, la ville en bord de mer, le thème de Totoro susurré par Lisa à l’oreille de Sosuke, le sous-marin de Fujimoto fait penser à un flapster du Château Dans Le Ciel,etc. Outre la limpidité de Mon Voisin Totoro, ce film rappelle la profondeur dont faisait preuve Le Voyage De Chihiro par l’importance donnée au patronyme. En amputant son prénom, Yubaba marquait son emprise irrémédiable sur Chihiro tandis que Sosuke en rebaptisant cette fille-poisson Ponyo lui permettait de s’affranchir d’un contrôle comparable exercé sur elle par Fujimoto.

Alors que les précédents films de Miyazaki voyaient le monde réel interagir progressivement avec le merveilleux qui s'invite souvent en voisin, Ponyo Sur La Falaise nous plonge littéralement dans une magie chatoyante, intrigante et incompréhensible (à quoi servent les décoctions de Fujimoto ? Que tente-t-il de faire en les administrant à ses créatures marines...?) obligeant le spectateur à l'accepter sans explications, aussi naturellement que le ferait un enfant. La séquence introductive est ainsi une plongée sans ménagement dans l'univers de Miyazaki absolument délicieuse. Une magie symbolisée par cette mer (mère) qui va engloutir le village portuaire et signer le point de départ de l’exploration de ce nouveau monde par Sosuke et sa compagne. Ou plutôt le retour d’un ancien monde puisque les créatures nageant dans les rues immergées n’étaient plus apparues depuis le dévonien. Un monde terrien et marin enfin en osmose et qui débute au seuil de la maison de Sosuke.

Ponyo Sur La Falaise
"Tu vois Sosuke, à part Pixar, tous les autres sont noyés !"


Le déferlement provoqué par Ponyo a permis de rapprocher, d’unir des mondes opposés mais surtout jusqu’ici incapables de se lier bien que mitoyen, comme la falaise et la mer, le réel et le merveilleux ou encore la maison de retraite où travaille Lisa et l’école maternelle de Sosuke. Par sa candeur, sa beauté et son naturel désarmant, Ponyo et l’univers qu’elle représente seront acceptés, intégrés le plus facilement du monde par toutes les générations. Ainsi, personne ne s’étonne (Lisa, la mère avec son bébé ou les mamies) d’apprendre qu’elle était un poisson avant. Plus qu’une lubie de gosse cela va de soi dans un monde où surgit par enchantement un Tsunami et où une lune jaune menace de sombrer dans la mer.

En délaissant pour un temps les airs, Miyazaki, fils d’aviateur, n’en a pas moins conservé sa capacité d’élévation. Un film incroyable dont cette critique ne saurait rendre complètement justice tant il y a encore à dire. Mais en dévoiler toute la teneur gâcherait le plaisir de la découverte. Et puis parfois, il faut savoir s'effacer devant les sentiments éprouvés et suscités par un film.
D'ailleurs, c'est encore Hayao Miyazaki qui explique le mieux ses véritables intentions avec ce nouvel opus magique : "les enfants de cinq ans ne sont pas encore capables de bien s’exprimer à l’aide de mots, mais ils savent instinctivement ce qui est essentiel, ce qui est important."
Car au-delà de toutes considérations mythologiques ou picturales, le coeur du film réside dans la relation si juste et si émouvante entre les deux gamins de cinq ans d'âge. Comme si en véritable entomologiste Miyazaki avait observé avec minutie les comportements parfois étranges et souvent surprenants de ces drôles de créatures qui égayent notre quotidien. Ponyo Sur La Falaise est une histoire d'amour débarrassée de toutes contingences sociales puisqu'elle épouse la pureté des sentiments qui étreignent Sosuke et sa petite sirène. Ponyo est un personnage dont le pouvoir le plus puissant est de parvenir à lier et unir deux mondes (aquatiques et terrestre), deux générations (Sosuke étreint in fine par la grand-mère acariâtre) mais surtout Ponyo ne rêve qu'à une chose, pouvoir tout simplement embrasser son amoureux.
Voilà à quoi se résume, à quoi tient tout le film, ce bisou si naturel, si impromptu entre les deux gamins.

Ponyo Sur La Falaise
 

Tout ça pour ça seront tentés de dire les grincheux qui trouveront à minimaliser la portée de ce nouveau chef-d'oeuvre (oui, oui, chef-d'oeuvre). Et oui, tout ses péripéties pour aboutir à ce simple baiser qui finit de nous transporter sur des rives que chaque adulte ne pouvait espérer retrouver un jour, même fugacement, celles de l'enfance, de cette capacité d'émerveillement naturelle. Avec Ponyo Sur La Falaise, Miyazaki nous permet de retrouver des sensations et sentiments oubliés ou du moins atténués avec le temps. Ce film n’a d’autre but que de révéler des sensations perdues et directement connectées avec la petite enfance.
Oui, Hayao Miyazaki est un magicien qui nous offre un véritable bain de jouvence fantastique et apaisant. Et à l'arrivée, impossible de ne pas ressortir de la salle sans être tombé amoureux de Ponyo.

8/10
GAKE NO UE NO PONYO
Réalisateur : Hayao Miyazaki
Scénario : Hayao Miyazaki
Production : Toshio Suzuki, Seiji Okuda, Hayao Miyazaki...
Photo : Atsushi Okui
Montage : Takeshi Seyama & Hayao Miyazaki
Bande originale : Joe Hisaishi
Origine : Japon
Durée : 1h40
Sortie française : 8 avril 2009 




   

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