Never Let Me Go

Clone triste

Affiche Never Let Me Go

Est-il plus facile de se sacrifier pour le bien de tous lorsque l’on ignore tout de ses origines, lorsque notre vision du monde est réduite au strict minimum de ce que l’on veut bien nous apprendre ou montrer ? Surtout, l’espoir, même factice, d’en réchapper et la naissance de sentiments sont-ils suffisants pour considérer sa vie accomplie ?


Autant d’interrogations adroitement envisagées au travers du triangle amoureux que vont former Ruth (Keira Knightley), Kathy (Carey Mulligan) et Tommy (Andrew Garfield, ex meilleur pote de Mark Zuckerberg et futur Spider-Man, sic), trois représentants d’une génération sacrifiée génétiquement modifiée.

Après le passable mais pas inintéressant Photo Obsession avec Robin Williams, Mark Romanek adapte, pour son troisième film, avec l’aide du scénariste Alex Garland (La Plage, 28 Jours Plus Tard), un roman de Kazuo Ishiguro, Auprès De Toi Toujours. Un auteur britannique d’origine japonaise dont un autre roman, Les Vestiges Du Jour, avait été adapté à l’écran par James Ivory.

Bien que le postulat de base s’appuie sur des racines science-fictionnelles – des enfants bénéficient d’une éducation spéciale et spécialisée visant à les formater afin d’accepter le rôle qu’ils auront à tenir une fois rejoint la société civile (on l’apprend assez rapidement, ce sont des clones thérapeutiques) – peu d’éléments visuels ou narratifs laisseront clairement transparaître les divergences entre la diégèse et la réalité factuelle que nous arpentons quotidiennement. Une manière de crédibiliser cet univers avec un minimum de moyens et renforcer la proximité émotionnelle avec le trio amoureux dont les tourments vont ici nous intéresser. C’est aussi un superbe prétexte pour porter un regard critique sur une société contemporaine devenant de plus en plus insensible et apathique. Ces êtres que l’on dévitalise semblent avoir plus de vie, d’envie, que ceux qui les entourent.

Pas de révolte explosive contre sa condition comme dans The Island de Michael Bay, pas de questionnement sur la tentation eugénique que le choix du patrimoine génétique peut engendrer comme dans Bienvenue A Gattaca d’Andrew Niccol, Romanek se contente de discourir sur le caractère éphémère de toute vie qui nous étreint par le biais de trois protagonistes à la nature particulière.


PROGRAMMÉS POUR DONNER
Dans une société britannique où l’espérance de vie a dépassé les cent ans avant la fin du vingtième siècle, trois jeunes gens s’interrogent sur leur avenir, leur origine, leur identité. Fable légèrement uchronique, Never Let Me Go n’aborde pas frontalement les questions éthiques que des répliques d’humains génèrent inévitablement mais s’attache en priorité au récit de trois destins irrémédiablement condamnés. Tout point de vue extérieur est ainsi exclu, à l’image de cette enseignante qui, pour avoir révéler à ses jeunes élèves le secret de leur condition et ce qui les attend hors des murs du pensionnat d’Hailsham, disparaîtra purement et simplement dans l’ellipse séparant le dernier plan la montrant et l’annonce de son départ par la directrice des lieux. Nous sommes assujettis à leur perception, à leur découverte d’un monde extérieur sans horizon (d’emblée, on fait circuler des histoires terribles pour les dissuader d’aller se promener au-delà du mur d’enceinte) puisque pour s’y intégrer, ils ont seulement le choix entre deux voies, devenir immédiatement des donneurs désignés volontaires de par leur conception ou différer ce moment en devenant un accompagnant, une sorte d’auxiliaire de vie les soutenant moralement tout au long de leur périple mortel (trois, quatre dons maximum sont humainement possibles).
Dans ces conditions, comment parvenir à s’accomplir, même partiellement, dans une vie toute tracée ? Grâce à l’amour. Celui que l’on donne à l’être aimé, comme celui que l’on porte à son prochain, à son congénère, en restant à son chevet. Et puis, il y a toujours la chance de bénéficier d’un sursis si cet amour partagé par un couple s’avère être véritable. Mais est-ce réellement une éventualité ou une nouvelle rumeur légendaire circulant de proche en proche pour susciter l’espoir chez des êtres qui en sont tragiquement dénués ? Pire, des êtres à qui tout espoir est même carrément dénié.

Never Let Me Go
 


ROAD TO NOWHERE

De cette société ayant légèrement dévié du cours normal de l’Histoire où le clonage est normalisé et, lui, parfaitement intégré, Romanek ne nous montrera que les lieux visités par ses personnages, limitant son récit à une approche intimiste certes partielle et donc incomplète (comme le sont finalement ces clones) mais cela ne l’empêchera pas d’en révéler subtilement la déshumanisation. D’abord par la photo nimbant le long métrage d’une lumière terne et froide contrastant sensiblement avec l’éveil des trois "héros" aux émotions, et puis surtout par le choix des lieux d’actions, au nombre de trois, comme autant d’étapes à franchir, représentant l’insensibilité institutionnelle à l’œuvre dans cette société revenant pratiquement aux principes de l’ère victorienne où savoir était préférable à sentir ou ressentir.
Ainsi, nous passerons de l’institut Hailsham à l’éducation rigoriste où les individualités se fondent dans la collectivité à une ferme étatique (allégorie transparente sur des êtres considérés comme du bétail) où ils façonneront leur comportement par mimétisme (ils calquent leur manière de parler, de se mouvoir, sur les sitcoms qu’ils ingurgitent) et enfin l’hôpital, ici envisagé avant tout comme un mouroir où le don d’une partie de soi est ramené à sa plus clinique expression, le prélèvement d’organe. Vision terriblement glaçante de cette équipe de chirurgiens s’affairant autour d’un corps sans se soucier du son monocorde d’un encéphalogramme plat et délaissant finalement ce morceau de viande sans vie.

Un trio particulièrement touchant au cours de l’amusante séquence dans un snack où ils sont incapables du moindre choix personnel, complètement tétanisés par les possibles que leur offre la carte et qui finiront par commander la même chose. Ce double déterminisme, biologique et social, ils ne pourront pas y échapper même en se réfugiant brièvement dans des espaces à l’horizon infini (plage, bord de route donnant sur un champ), car comment éprouver sa liberté si l’être aimé ne peut vous accompagner de l’autre côté.

6/10
NEVER LET ME GO
Réalisateur : Mark Romanek
Scénario : Alex Garland d'après le roman de Kazuo Ishiguro
Production : Andrew MacDonald, Alex Garland, Mark Romanek, Kazuo Ishiguro…
Photo : Adam Kimmel
Montage : Barney Pilling
Bande Originale : Rachel Portman
Origine : Grande-Bretagne

Durée : 1h43

Sortie française : 2 mars 2011




   

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