Into The Wild

Slow racer

Affiche Into The Wild

Il y a quelque chose d'assez ironique à propos de ce film, qui conte l'histoire vraie du jeune Chris McCandless, diplômé de bonne famille ayant décidé l'été 1990 de fuir la société moderne pour une vie de bohème, c'est qu'il sort précisément le premier jour des soldes (vous vous demandiez pourquoi mercredi il y avait moins de gloussements hystériques et de sonneries de portables dans les salles, c'était grâce à l'ouverture de la chasse à la sandale).


Jolie coïncidence en effet, car le nouveau film de Sean Penn, qui nous avait laissé assez stoïque avec
The Pledge, s'axe sur cette confrontation entre une société pleine à craquer de biens de consommation mais d'une vacuité telle que l'humanité en déprime, et le vide sauvage qu'affronte ce Jeremiah Johnson des temps modernes qu'est Chris McCandless : vide, dénuement et solitude ne cesseront de l'enrichir spirituellement tout en lui donnant la primordiale sensation d'enfin vivre.
Car McCandless était jusqu'à ses 22 ans étouffé par des parents anxiogènes, querelleurs et quasi invivables, reportant sur leur progéniture les désirs de perfection qu'ils n'avaient pas pu assumer. A l'écran, cela se traduit par un cadre se resserrant sur eux à mesure qu'ils dictent à leurs enfants ce qui leur semble être la voie à suivre pour s'épanouir (études onéreuses, voiture grande et confortable, obéissance à la moindre loi, etc.).

En réaction à cette pression sociale et familiale, Chris devient Alex Supertramp et fait un gros doigt à une existence "moderne" qu'on lui impose, pour s'en aller battre le bitume, recommençant une nouvelle vie. Symboliquement, et encore une fois par le biais d'une coïncidence bienvenue (Penn retraçant méticuleusement le parcours de Chris/Alex), la seconde vie du vagabond naît d'un bain de mer purificateur après avoir rencontré un couple de hippies, Jan et Rainey, parents rêvés du jeune Chris. Cette existence touchera logiquement à sa fin après la proposition d'adoption de Ron le retraité, désirant l'avoir pour petit-fils. Mais Chris refuse toute attache, toute filiation, et fuit, va de l'avant, jusqu'à s'isoler complètement et durablement du monde.
La famille est le sujet au centre de la filmographie de Penn. Déchirée ou reconstituée, elle est souvent le moyen pour ses personnages principaux d'affronter leurs démons, qui y échouent irrémédiablement, comme si la cellule familiale seule ne pouvait suffire à sauver des êtres tourmentés. Ici, les valeurs sont inversées, la famille, unie en apparence, est complètement perdue et névrosée, le héros principal ayant, lui, la tête sur les épaules, sait ce dont il besoin. Il fuit donc père, mère, sœur, veau, vache et cochon, alors que quinze ans auparavant c'était le personnage instable et violent de Viggo Mortensen qui fuyait le calme et la sérénité d'un foyer aimant (
The Indian Runner). D'un éloge un peu trop idéaliste de la famille (qui était vraisemblablement un désir profond du Penn d'alors), l'auteur de The Crossing Guard replace celle-ci dans une autre perspective, c'est-à-dire comme simple rouage social duquel il faut s'émanciper. La fuite n'est plus l'apanage des losers, mais de ceux qui ont le courage d'aller au bout de leurs idées.

Into The Wild
 

On ne sait d'ailleurs pas réellement ce à quoi Chris veut échapper en priorité : ses parents ou le monde moderne, même si c'est en se projetant dans la peau d'un yuppie qu'il renonce à retrouver sa famille, celle-ci ne valant a priori pas l'effort de se contraindre à une vie "normale". Mais une chose est sûre, c'est la nature sauvage que Supertramp désire plus que tout, s'isoler absolument de toutes choses. Et c'est bien logique tant elle paraît ici superbe et diversifiée. Sean Penn trouve dans ces grands espaces enfin matière à se faire plaisir avec ses mouvement d'appareils oscillant entre le documentaire et le film arty (dommage du coup que le superbe plan final – un long mouvement de grue partant d'un gros plan sur Chris – n'est ici pas d'autre raison d'exister que l'amour de la belle image). En suivant les pérégrinations de son jeune héros (excellent Emile Hirsch ; attendez six mois pour apprendre par la presse que dans Speed Racer il joue, fatalement, comme une endive), Sean Penn filme avec envie et liberté (quoi de plus normal vu le sujet), renvoyant directement à un certain cinéma US des 60's (la rencontre avec les Suédois), allant jusqu'à se permettre d'insérer une grimace du héros à la caméra, manière narquoise mais surtout évidente de marquer la solitude de ce dernier, qui n'a plus que le spectateur comme témoin de son bonheur.

A une époque où la plupart des documentaires nous ordonnent de prendre soin de la nature avec pour seules méthodes la peur et l'accusation, n'engendrant chez la population qu'une anxiété la rendant encore plus folle et consommatrice qu'à l'accoutumée, il est agréable de voir une telle ode à la vie sauvage, sans code, sans règlement, sans restriction, de voir un film qui ne juge pas, qui ne cherche pas à donner de leçon : juste à nous faire partager le bonheur incommensurable de se débarrasser de la futilité. Quitte à en payer le prix fort.
L'année 2008 commence donc bien : on a envie de tout envoyer paître. Et surtout les soldes !

7/10
INTO THE WILD 

Réalisateur : Sean Penn
Scénario : Sean Penn d'après Voyage Au Bout De La Solitude de Jon Krakauer
Production : Art Linson, Sean Penn & William Pohlad
Photo : Eric Gautier
Montage : Jay Cassidy
Bande originale : Michael Brook, Kaki King & Eddie Vebber
Origine : USA
Durée : 2h20
Sortie française : 9 janvier 2007




   

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