Idiocracy + Art School Confidential

Ceinture sur la satire

Affiche Idiocracy

Tandis que la nouvelle génération hexagonale prend soin d'éviter les sujets polémiques pour confectionner du mélo social, l'Amérique post-moderne continue son auto-critique avec un panache et une diversité de formes qui font plaisir à voir.


Enfin, "voir", encore faut-il pouvoir mettre la main dessus, la distribution de ces bandes relevant du cache-cache. A titre d'exemples, le pamphlet estudiantin de Neil LaBute, The Shape Of Things aura attendu quatre ans avant de seulement sortir en DVD en février dernier. L'extraordinaire documentaire fustigeant l'ultra-libéralisme The Corporation était exploité dans une salle à Paris fin décembre 2004, un an après sa sortie américaine, tandis que des vidéos amateurs et approximatives telles que Le Cauchemar De Darwin ou Supersize Me trustaient les médias. Le récent et excellent Talladega Nights est quant à lui rabaissé au rang de simple direct-to-video pour cause de moquerie à l'encontre des français (véridique) alors que le film d'Adam McKay est avant tout une charge explosive contre la beaufitude américaine et la consommation abrutissante, ce qui n'a pas empêché les yankees d'en faire un triomphe. A se demander où est vraiment l'ouverture d'esprit. 

Idiocracy

Dernièrement, les deux farces satiriques à faire les frais de l'amour français pour le corrosif sont Idiocracy de Mike Judge (génial auteur de Beavis & Butt-head et 35 Heures C'Est Déjà Trop aka Office Space), diffusé dans... neuf salles, et Art School Confidential de Terry Zwigoff, sorti directement en DVD sans passer par la case grand écran. A l'image du Nouvel Obs, on peut très bien se contenter de jouir devant Les Simpson – Le Film en mettant en avant son "irrévérence, impertinence et politiquement incorrect" sans jamais souligner que la force du discours provient de sa popularité, due à une grande exigence scénaristique et artistique, car cela nous mènerait à nous poser cette angoissante question : si la puissance d'un certain contre-pouvoir satirique naît de son audience, où est ce contre-pouvoir en France ? Dans Camping ?

L'idée de départ de Idiocracy est aussi simple que vertigineuse : dans le cadre d'un programme d'hibernation, l'armée US choisit le plus moyen de ses soldats, Joe (Luke Wilson). Or, suite à divers incidents, Joe est oublié, et se réveille 500 ans plus tard dans un monde où l'humanité, gavée de programmes télé débiles et de publicités exaltant le repos cérébral, a régressé au point de faire de Joe l'homme le plus intelligent du monde.

La bonne idée de Mike Judge est de n'avoir pas mis en scène la débilité pour le simple plaisir de montrer la débilité, mais d'illustrer comment un environnement stupide rend forcément ses protagonistes stupides. L'auteur raille la société du futur avant de railler le peuple, donc par extension critique avant tout les élites et leurs décisions infantilisantes qui déresponsabilisent la population, cela en grossissant mille fois les travers de la société actuelle, notamment cette volonté de vouloir systématiquement tout simplifier à l'extrême. Ainsi, dans le futur, le moindre objet ou outil ressemble à d'énormes jouets, des voitures jusqu'aux instruments de médecine. Les régies de télévision ne comportent plus que quatre gros boutons poussoirs, le clavier de la réceptionniste de l'hôpital n'est composé que de pictogrammes illustrant les divers symptômes, etc. Pour Judge, si l'on n'est plus obligé de construire un échange verbal normal ou de réaliser des actions complexes, l'homme perdra forcément l'habitude de raisonner avec logique, ainsi que la faculté de communiquer.

Idiocracy

Mais la grande force du metteur en scène est de n'avoir jamais peur d'accusations diverses en imaginant par exemple que le langage de la rue a fini par remplacé le langage normé. Le démagogue verra là-dedans un discours réac alors que de toute évidence l'idée sous-jacente est une acide critique envers ceux qui possèdent aujourd'hui le savoir mais, trop figés par de superficielles convenances, n'osent contredire un pan de la jeunesse actuelle allergique à l'apprentissage du savoir commun (certains vont jusqu'à affirmer que le SMS est une bonne méthode pour apprendre à écrire !). En s'adressant à ses cibles selon un axe qu'elles s'empresseraient de ne pas comprendre pour mieux retourner le propos contre le réalisateur, Judge prend le parti de l'ironie absolue tout en invitant le spectateur à suivre un discours sans s'offusquer dès la première syllabe politiquement incorrecte, réflexe traditionnel des gardiens de la morale pour réduire un débat à néant.

Idiocracy
Les USA dans 500 ans, c'est comme Marseille aujourd'hui


Bien évidemment Mike Judge attaque les médias et la publicité (les seules phrases prononcées correctement par le peuple du futur sont des slogans qu'il répète sans savoir ce qu'ils signifient - scène fabuleuse et tordante), ainsi qu'aux multinationales qui vont jusqu'à renier les plus basiques des principes scientifiques pour mieux s'enrichir (en 2505 elles affirment que le soda fait pousser les pommes de terre, seulement n'a-t-on pas déjà plus stupéfiant comme désinformation, du genre "manger du yaourt fait maigrir" ?). Ce qui fait donc de Idiocracy, au-delà d'un démentiel Futurama live, un pamphlet essentiel sur ce triangle maudit : célébration de la stupidité + importance démente de l'argent + désertion des garants.


Affiche Art School ConfidentialN'importe quel ami étudiant ou artiste vous le dira volontiers, "les américains c'est tous des cons, vivent la liberté d'expression à la française". Et il est vrai que la liberté d'expression est fondamentale lorsque l'on a rien à dire, ou pas autre chose que "moi moi moi mon sexe moi mon ego et moi". Des étudiants et des artistes, il en est fortement question dans l'autre petit bijou sarcastique mis en scène par Terry Zwigoff, qui retrouve Daniel Clowes au scénario après l'adaptation de Ghost World : Jerome rêve d'aller en fac d'art, et lorsqu'il y fait sa rentrée, un tueur en série rôde sur le campus. La police infiltre donc un agent au sein des apprentis artistes. Et devinez qui, entre le talentueux et intègre Jerome et le pataud flic, va être célébré d'une part par des profs ne sachant que faire pour créer artificiellement des nouveaux courants, et d'autre part par des élèves ne pouvant penser sans l'aval de ces derniers ?

Clowes et Zwigoff, sous des apparats de cinéma indé, donc plat, n'y vont pas avec le dos de la cuillère, fonçant joyeusement dans la caricature au risque de se le voir reprocher par le milieu qu'ils brocardent. C'est pour prévenir ceci qu'ils accolent au héros un protagoniste spectateur qui signale au sein même du film quel personnage correspond à quel stéréotype, pourquoi et comment. De la dark artiste à la cinéaste branchée en passant par le taré fan de Tarantino ou la lèche-cul capable de voir 74 niveaux d'interprétation dans un dessin de voiture pour peu que le prof ait validé, tout y passe, toujours avec la perspective que pas grand monde là-dedans n'a la moindre idée de ce qu'est leur art. Clowes montre d'ailleurs que la majorité de ses artistes se servent de l'Art avant de le servir.
L'histoire chez Zwigoff étant toujours moins importante que les personnages, on peut regretter un rythme trop lent nuisant à une satire comique qui marche sur les traces du Pecker de John Waters sans en avoir la niaque ni la férocité. Mais les deux ont en comment cette volonté de peindre le tableau d'une caste s'ennuyant tellement qu'elle est prête à sacrifier bon sens, talent et propos dans le but de s'octroyer quelques heures d'excitation bien égoïste et superficielle.

Art School Confidential
Et est-ce que des étudiants en restauration s'intéresseraient aux œuvres d'art lors des vernissages ?


Au final, pour Clowes & Zwigoff, tout comme pour l'ami de Jerome, la réussite dans l'art aujourd'hui ne se résumerait plus qu'à un triste constat : "il faut sucer des queues".
Et apparemment, pour diffuser de la satire dans les cinémas de France et de Navarre, aussi.

6/10
IDIOCRACY 
Réalisateur : Mike Judge
Scénario : Mike Judge & Etan Cohen
Production : Mike Judge, Elysa Koplovitz & Michael Nelson
Photo : Tim Suhrsdet
Montage : David Rennie
Bande originale : Theodore Shapiro
Origine : USA
Durée : 1h24
Sortie française : 25 avril 2007








5/10
ART SCHOOL CONFIDENTIAL
Réalisateur : Terry Zwigoff
Scénario : Daniel Clowes
Production : Daniel Clowes, Lianne Halfon, John Malkovich, Russel Smith…
Photo : Jamie Anderson & Chandra Mouli
Montage : Robert Hoffman
Bande originale : David Kitay
Origine : USA
Durée : 1h42
Sortie française : 6 février 2007 en DTV

 

 




   

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