Speed Racer et le Superflat

Big pop art movie

Affiche Speed Racer

Echec autant critique que commercial, Speed Racer, le dernier opus des frères Wachowski, s'est littéralement fait descendre outre-Atlantique et ça semble bien parti en France pour qu'il en soit de même.


Et pour cause : à la vue des trailers les forumeux vigilants n'ont pas manqué de faire la comparaison avec Spy Kids. Vendu de plus comme un actionner post-Matrix par la Warner (alors que le film vise les kids) le film manqua son public, et à sa sortie le bouche à oreille fut catastrophique, le film étant jugé trop bizarre.
Mais comme Matrix avant lui, Speed Racer est bien un film à plusieurs niveaux de lecture, et évidemment les Wachowski balancent des références visuelles, des pistes, des indices afin d'interpréter leur oeuvre dont l'intention est bien plus ambitieuse qu'elle ne le laisse paraître de prime abord, jouant ainsi avec l'intelligence et la curiosité du spectateur.

Et de la curiosité il va en falloir pour savoir où veulent en venir nos deux larrons, faisant l'impasse systématique sur les interviews, nous sommes livrés à nous même pour comprendre ce qu'est ce trip sous LSD. Mais rassure-toi, lecteur vénéré car L'ouvreuse est là pour te guider vers la lumière. Pour cela nous allons vous parler de ce formidable pays qu'est le Japon : à la fin de la deuxième guerre mondiale, le Japon est humilié et subit l'occupation politique des Etats-Unis. Durant cette période, qui va durer jusqu'aux années 50-60, le pays connaîtra  une occidentalisation de sa culture, suivie d'une croissance économique forte et l'émergence d'une nouvelle culture populaire, la culture Otaku. Celle-ci grandit sous l'influence de la culture américaine, découvrant les comics, les dessins animés, les romans de SF etc.
Curieusement la culture Otaku s'approprie cette partie de la culture pop américaine pour en faire une sorte de mixage, croisement entre le Japon traditionnel et la modernité, trouvant sa propre personnalité et ayant un fort caractère national. Ainsi, à partir des années 70 et jusqu'à nos jours, cette culture Otaku prendra des formes diverses mais toujours ancrées sur l'imaginaire : ainsi on peut citer les mangas, les animés, les jeux vidéos, le cosplay, les romans numériques, les collections de figurines, etc.

Speedracer
 

Évidemment ce débordement de création dépassa les frontières du Japon pour atteindre l'occident, et c'est les yeux éberlués que votre serviteur découvrit Albator, Goldorak, Cobra, Ken le Survivant, pendant qu'aux Etats-Unis une série du nom de Speed Racer faisait son bonhomme de chemin et devenait un énorme succès.

Considéré comme une sous-culture, voire moins, la culture Otaku fut méprisée par l'occident pendant des années, subissant les attaques d'un racisme effarant à l'époque ("japoniaiserie", "violence"... Je ne vais pas vous refaire l'histoire, vous la connaissez). D'ailleurs des magazines comme Télérama, qui dans les années 80 tirèrent à boulets rouges sur les animés, ont depuis retournés leur veste dans les années 2000.

Au début de cette décennie apparaît un nouveau mouvement artistique venu du Japon et nommé Superflat. Créé par l'artiste Takashi Murakami, il se caractérise par des créations ayant pour sources la culture Otaku. Murakami revendique cette culture Otaku comme étant profondément japonaise, étant la fusion d'une culture nippone prémoderne et postmoderne faisant autant références aux estampes du Levant qu'aux dessins animés. Ainsi, ses créations sont empreintes d'un esprit kawai, coloré, certains diront mangaesques. Mais au-delà de cela l'objectif ambitieux de Murakami est une japonisation de la culture occidentale, ce qui est la marque caractéristique de l'esprit nationaliste de la culture Otaku. Néanmoins, les Otakus étant des personnes assez repliées sur elles-même, certains firent savoir à Muramaki qu'ils n'appréciaient guère de voir cette ré-appropriation de leur culture.
Cependant, Murakami fédère autour de son mouvement Superflat tout un groupe d'artistes plus talentueux les uns que les autres et la reconnaissance devient mondiale devant l'originalité des oeuvres en question qui marient art, velléités commerciales et consumérisme délibéré.
Oeuvres colorés, utilisant les aplats de couleurs primaires de façons harmonieuse, références aux mangas, jeux vidéos et dessins animés :  voilà ce qui caractérise précisément le film Speed Racer des Wachowski.

Speedracer
 

Speed Racer la série, comme beaucoup de dessins animés japonais aux budgets serrés, usa d'astuces de mise en scène pour dynamiser l'ensemble. Ainsi, souvent dans les dessins animés de cette époque (et encore à l'heure actuelle), on peut voir des personnages restant statiques au premier plan pendant que le décor (voir plusieurs) bouge en arrière plan avec un effet de parallaxe (économisant grandement le nombre de cellulos). A ce sujet on se souvient tous de la série Olive & Tom dans laquelle les joueurs couraient sur un terrain faisant des kilomètres de long pendant que le fond défilait indéfiniment. Cela semblait absurde mais dans la dynamique des épisodes, ça passait comme une lettre à la poste. Ainsi, le DA nippon et les mangas se sont construits sur un ensemble de codes visuels (lignes de vitesse, personnages kawai aux grand yeux...) qui sont repris et explosés par les frères Wachowski dans leur long métrage, dans une mise en scène renouvelée présentant une idée à chaque plan. A ce titre, le choix partisan d'une colorimétrie composée de couleurs primaires (voir criardes diront les malveillants) en aplats mais judicieusement disposée relève bien des intentions du Superflat. Tout comme les références à la culture Otaku et je citerai pèle-mèle les jeux vidéos (en particulier les jeux de courses automobiles avec l'intégration judicieuse du système de voiture fantôme, mais aussi, au détour d'une scène, le shoot them up à scrolling horizontal), les lignes de vitesse et les décors en parallaxe (mais animés !) ainsi qu'une disparition de la perspective.
Cette folie visuelle qu'est Speed Racer atteint son paroxysme avec un final littéralement orgasmique dans lequel pleuvent les allusions sexuelles, ce qui est assez paradoxal pour un film pour enfant mais assez justifié dans une oeuvre pop-art maquillée en bande pour gamins.

On peut donc avancer (sans trop de risque j'espère) que Speed Racer est le premier long métrage Superflat, mais étrangement ce sont des réalisateurs américains et non japonais qui en sont les créateurs ; ainsi le mouvement de Murakami perd peu à peu de son caractère national, mais n'est-ce-pas ce qu'il désirait à l'origine ? Évidemment, une telle débauche visuelle ne plait pas à tout le monde et même si certains n'ont rien à dire dessus, ce film fera certainement date, comme pour Les Fils De L'Homme il faudra quelque années avant qu'il n'acquiert sa juste reconnaissance car trop en avance ou trop inovateur. Gageons que d'autres réalisateurs férus de culture nipponne s'engageront dans la brèche car celle-ci recèle de trésors qui ne demande qu'à être mis à jour par des réalisateurs aussi dingues que les frères Wachowski.




   

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